On vous a raconté que le passé simple n’existait plus ? N’en croyez rien ! Le passé simple est bien vivant, et vous l’avez à coup sûr croisé récemment, sans peut-être vous en rendre compte. Le quotidien Le Monde vient même de lui consacrer un hommage appuyé… Pourtant, le passé simple semble interdit de séjour au Lycée : il serait vieilli, dépassé, totalement ringard et abandonné par tous. Et bien, c’est faux !
En effet, le passé simple est partout, ou presque : c’est le temps de la narration romanesque ou journalistique et du récit historique. Vous le trouvez dans l’éditorial du Monde, dans les nouvelles de Maupassant comme dans les romans policiers contemporains, dans la chanson L’aigle noir de Barbara comme dans la publicité. Certes, il est parfois étrange pour nos oreilles, mais son aide est précieuse pour raconter des événements et aussi pour interpréter les textes littéraires.
Le passé simple est… un temps du passé. Il fait donc partie du même groupe que l’imparfait ou le passé composé, mais se distingue de ces deux temps par le fait qu’il est plutôt réservé à l’écrit et surtout par des caractéristiques grammaticales et narratologiques précises :
Passé simple vs imparfait
-le passé simple situe un événement passé à un moment précis/déterminé : on peut définir précisément le début et la fin de l’événement raconté au passé simple. Cet événement est en général unique.
-en revanche, l’événement raconté à l’imparfait a un début et une fin non définis. Il renvoie à l’arrière-plan d’une action et peut être répétitif (habitude).
Comparez :
Quand Marie entra, Pierre cria. (= elle rentre, puis il commence à crier : les événements se succèdent l’un après l’autre, comme dans un film, et on peut les localiser précisément dans le temps).
Quand Marie rentra, Pierre criait (= il était en train de crier, on ne sait ni depuis combien de temps ni pour combien de temps encore. L’imparfait renvoie à une situation dont la durée est indéterminée).
Le passé simple est donc le temps du cinéma (images en mouvement se succédant l’une l’autre), l’imparfait celui de la photographie (arrêt sur image). Le passé simple permet ainsi de raconter des actions qui se détachent sur fond d’imparfait.
Ex. Il faisait nuit noire. On ne distinguait plus le paysage. Soudain, la lune se leva et la silhouette de la montagne apparut.
Passé simple vs passé composé
-l’action ou l’événement décrits par le verbe au passé simple sont considérés comme terminés, révolus, clos et enfermés dans la « capsule temporelle du passé » et donc sans lien avec ou conséquence sur le présent de l’énonciation. Le passé simple exprime donc l’aspect accompli et indique les limites de l’action.
-à l’opposé, l’événement raconté au passé composé a un lien (de proximité temporelle, de conséquence, de tension affective, etc.) avec le présent de l’énonciation. Ce lien est parfois explicite, souvent implicite et non défini, mais il existe ! Pas simple… Mais rappelez-vous vos cours d’anglais : c’est ici un peu la même chose qu’entre le simple past (= passé simple) et le present perfect (= passé composé).
Pour bien saisir cette différence, écoutons la chanson – culte et kitsch !- de Joe Dassin, Le Petit Pain au chocolat. Voici le lien :
https://www.youtube.com/watch?v=IB7cEkHusPQ
La chanson démarre à l’imparfait : c’est logique, car elle décrit les petites habitudes d’un jeune homme myope (= qui ne voit pas bien) et une situation qui dure (elle a débuté avant la chanson et dure encore : la boulangère est belle, les clients en sont tous amoureux, sauf ce jeune homme, qui ne la voit pas…).
Puis un événement majeur se passe et change tout : la boulangère achète des lunettes au jeune homme. Cet événement est bien sûr raconté au passé simple : il est unique et daté, tout comme le mariage entre la boulangère et le client, raconté lui aussi au passé simple. Ces deux événements sont déterminés dans le temps (on pourrait les dater précisément), uniques et révolus.
Ensuite, le passé composé apparaît : les enfants de ce couple vivent encore, peut-être le chanteur est-il lui-même l’un de ces enfants, ou bien il les connaît. En tout cas, il existe un lien entre l’événement décrit (la naissance des enfants) et le présent de l’énonciation (le moment, fictif, où le chanteur raconte cette histoire).
Enfin, la « morale de l’histoire » est racontée au présent (temps des vérités générales).
Dans les textes littéraires, l’alternance entre passé simple et passé composé donne des indices précieux pour interpréter le texte. Ainsi, dans le grand monologue de Phèdre, dans la scène 3 de l’acte I de la pièce de Racine, Phèdre décrit la naissance de son amour pour Hippolyte, le fils de son mari, et son combat contre cette passion. Lisez attentivement la tirade de Phèdre dans la 2ème colonne du texte : dans un premier temps (vers 4 à 6 du monologue), Phèdre utilise le passé simple pour décrire le „coup de foudre“, donc un événement unique, daté et révolu.
Ensuite (vers 7), l’imparfait offre une pause permettant de décrire l’état (chronique, d’où l’imparfait !) de Phèdre après ce coup de foudre.
Les vers suivants (8 à 12) reprennent le récit des événements qui ont succédé au coup de foudre : le passé simple permet ici de décrire un enchaînement d’événements.
Puis (vers 13 à 22), l’imparfait permet de décrire les actions un peu désordonnées, désespérées, non localisées dans le temps et en partie répétitives de Phèdre pour tenter d’éteindre sa passion pour Hippolyte.
Les vers suivants (24 à 29) sont de nouveau au passé simple : après cette période agitée, dont la durée n’était pas définie (donc à l’imparfait), Phèdre réussit « enfin » (vers 24) à agir de manière plus ordonnée et met en place une stratégie, donc une suite d’actions isolées qui s’enchaînent, qui pourraient être datées et qui conduisent à l’exil d’Hippolyte. Le passé simple permet de raconter ces actions et de les présenter comme faisant partie d’un passé (apparemment) révolu.
Les vers suivants (vers 30 à 34), à l’imparfait, ouvrent une période non déterminée dans le temps, mais a priori assez longue, durant laquelle Phèdre croit avoir oublié Hippolyte. L’imparfait sert ici à décrire un état, une situation stable dont la durée n’est pas déterminée.
La fin du monologue, au passé composé, indique qu’il n’en est rien : les sentiments de Phèdre pour Hippolyte sont toujours aussi forts, et le passé composé indique que les événements racontés (le voyage à Trézène, la nouvelle rencontre avec Hippolyte et ses conséquences, pour finir les événements récents dont Oenone, la nourrice de Phèdre, a été témoin) sont étroitement liés au présent, donc à la situation actuelle de Phèdre. Il est logique que le passé composé se substitue au passé simple à la fin du monologue : Phèdre termine sa tirade en évoquant des événements récents et qui expliquent sa situation actuelle. L’utilisation du passé composé crée un lien avec le moment (présent) de l’énonciation et rapproche subjectivement les deux moments (celui des faits et celui de l’énonciation).
Vous l’aurez compris : le passé simple est un temps indispensable ! Alors, quand vous le rencontrerez lors de vos lectures, rendez-lui l’hommage qu’il mérite !