par Nicoline F. et Klaudia P.
- 1) Biographie
- 2) Intermédialité
- 3) Les yeux baissés
- 4) Analyse: Les yeux baissés
- 5) Test de connaissance
- 6) Exercice d’analyse
1) Biogaphie
Tahar Ben Jelloun est un écrivain, poète et peintre franco-marocain et l’un des auteurs les plus importants de la littérature francophone. Né le 1er décembre 1944 à Fès au Maroc, Ben Jelloun a grandi dans un univers bilingue grâce à sa formation scolaire et ses études de philosophie en langue française. Par la suite, il commence sa vie professionnelle en tant qu’enseignant de philosophie au Maroc. Mais en raison de l’arabisation et parce qu’il n’est pas formé pour la pédagogie en arabe, il doit quitter son pays natal en 1971. Ben Jelloun s’installe à Paris, où il poursuit ses études de psychologie et de sociologie. Dès 1975, il travaille en tant que journaliste et écrivain, notamment pour le quotidien Le Monde et pour le mensuel Le Monde Diplomatique dans lesquels il écrit régulièrement des articles sur la littérature, la politique et les sociétés du Maghreb.
Depuis 1976, Tahar Ben Jelloun fait partie de l’Académie Mallarmé, une association littéraire fondée en 1937. En 1988, il obtient le Prix Goncourt pour son roman La Nuit sacrée. Tahar Ben Jelloun vit et travaille entre deux pays, à Paris et à Tanger,[1] ce qui se manifeste particulièrement dans ses textes comme dans ce roman, Les Yeux baissés (1991), qui raconte la vie d’une fille berbère qui vient de partir pour la France. Le roman aborde des thèmes tels que l’exil, le déchirement entre deux cultures et la quête identitaire, mais aussi des thématiques engagés comme la condition des femmes et les tabous. Face à une interculturalité qui acquiert de plus en plus d’importance dans notre monde mondialisé, la littérature contemporaine compte des auteurs tels que Tahar Ben Jelloun qui par leurs œuvres partagent leur expérience de la vie entre deux cultures. Ayant vécu dans différents pays, Ben Jelloun reflète dans » Les Yeux baissés », paru en 1991, les expériences, tantôt positives tantôt négatives, de l’immigration.
2) Intermédialité
Tahar Ben Jelloun exprime son talent non seulement en littérature, mais aussi en art. Depuis 2010 Ben Jelloun s’exprime visuellement en peignant des toiles. Son premier tableau a été montré en 2013. Ses œuvres se caractérisent par des formes simples et abstraites ainsi que par des coups de pinceau expressifs.[2] Par ailleurs, il emploie des symboles rappelant l’écriture arabe et évoquant l’identité culturelle du Maghreb. Semblables à ses romans, ses toiles se penchent sur la condition humaine et la relation de l’homme avec son environnement. Dans une interview, il précise ne pas être capable de visualiser le figuratif, parce qu’il ne veut pas recopier le réel. Au lieu de cela, il donne du réel une autre vision.
Alors que la plupart de ses tableaux portent un message de joie et d ’optimisme qui expriment la liberté, la toile nommée « 13 novembre 2015 » parle de sa colère et de sa rage face à l’attentat dans la rédaction du journal « Charlie Hebdo », qui a eu lieu alors qu’il était en train de finir cette œuvre. Ben Jelloun a versé par la suite rageusement de l’encre sur la toile, c’est-à-dire qu’il s’est laissé uniquement guider par ses émotions.
Références bibliographiques:
3) Les yeux baissés
Dans ce roman, Tahar Ben Jelloun s’essaie à un changement de perspective. Alors que ses œuvres précédentes (« L’Enfant sable », « La Nuit sacrée » et « Jour De silence à Tanger » se déroulaient uniquement au Maroc, l’action dans « Les Yeux baissés » se passe aussi bien au Maroc qu’en France. Il y narre le destin d’une petite fille berbère, Fathma, née dans un village du Haut Atlas. Dans le prologue, on apprend que Fathma est la gardienne du secret d’un trésor caché. Elle grandit sans amour dans une situation précaire, car son père émigre en France, tandis que sa mère est complètement absente. C’est ainsi que Fathma et son petit frère Driss sont sous la garde de leur tante Slima. Mais à cause de cette dernière, qui a le « mauvais œil », une malédiction pèse sur le village. Elle est bientôt responsable de la mort de Driss. Après cet assassinat, le père revient chercher sa famille et ils s’installent tous en France, où ils vivent dans le quartier multiculturel de la Goutte-d’Or à Paris. La protagoniste découvre alors un nouvel univers. Elle apprend à lire et à écrire mais elle est également confrontée à des actes racistes. Elle y fait un long apprentissage qui accompagne son déracinement culturel : Fathma se trouve soudain dans un territoire nouveau, un « troisième lieu » qui n’est ni sa terre natale ni un pays d’adoption.
3.1 Les Yeux baissés et la francophonie
Les Yeux baissés est le huitième roman de T.B. Jelloun et est considéré comme un roman de l’exil. La littérature de l’exil est un terme « pour toute littérature apparue au cours d’un exil forcé ou volontaire pour des raisons politiques, raciales, religieuses ou autres. ». En outre, l’auteur fait partie des écrivains francophones. Le roman Les Yeux baissés est représentatif à ce titre des littératures maghrébines. Les auteurs francophones ont commencé à avoir de plus en plus de succès dans les années 1980 et plusieurs d’entre eux ont été couronnés par le prestigieux Prix Goncourt.
4) Analyse: Les yeux baissés
À la suite des mouvements étudiants de la fin des années 1960, le champ littéraire a vu l’éclosion de nouvelles approches théoriques et méthodologiques. Les émeutes sociales ont notamment éveillé un intérêt croissant pour la condition féminine. Par conséquent, on a vu émerger de nombreuses théories féministes de la littérature à cette époque. Au fur et à mesure, la critique féministe s’est notamment donnée pour tâche l’analyse de la représentation des femmes. En effet, d’après les représentant.e.s féministes, les textes littéraires ont été – depuis des siècles – influencés par des idéologies patriarcales. La critique féministe de la littérature a donc pour objectif d’examiner la représentation de la condition féminine dans la littérature et de replacer ces observations dans leur contexte socio-culturel.[1] Les yeux baissés de T. Ben Jelloun fait partie de ces œuvres dont le thème central est la condition féminine. L’auteur y narre la vie d’une petite fille, nommée Fathma, qui quitte le Maroc pour s’installer avec sa famille en France et le texte fait sans ambiguïté référence à la construction du genre de la protagoniste dans un environnement binational. Le roman dévoile d’une part les défis et les enjeux de l’immigration tels que le racisme et d’autre part, l’évolution et les opportunités d’une jeune femme venant d’un pays aux structures patriarcales. Le passage suivant révèle comment la protagoniste reconstruit son identité après avoir affronté une nouvelle culture :
Je sais ce qu’il veut, il me l’a clairement dit un jour ; il me veut les yeux baissés comme au temps où la parole de l’homme descendait du ciel sur la femme, tête et yeux baissés, n’ayant pas de parole à prononcer autre que : « Oui, mon Seigneur ! » Il appelle ça de la pudeur, c’est regarder l’homme en face et confronter nos désirs et nos exigences. Si, aujourd’hui encore, l’homme monte sur le mulet et la femme suit à pied, si tout le monde trouve cela normal, pas moi.[2]
Afin que l’analyse soit compréhensible, il est d’abord nécessaire de donner un bref aperçu des rôles sociaux de genre au sein de la société marocaine. Comme nous l’avons déjà indiqué, la société marocaine est marquée par une forte domination masculine ou autrement dit par un fort patriarcat. L’origine du terme « patriarcat » est à chercher dans le grec ancien et signifie plus ou moins « chef de tribu », c’est-à-dire que l’homme est au sommet de la pyramide sociale, tandis que la femme lui est soumise.[3] La soumission de la femme est notamment représentée par son regard. Dans un premier temps, le motif des « yeux baissés », qui donne son titre au roman et témoigne ainsi de son importance, est décrit comme une expression de respect et de pudeur :
Et pourtant, leur amour est solide ; sa force est dans cette beauté intérieure, discrète et jamais nommée. Il est tout entier dans un geste : les yeux baissés. [4]
Mais en même temps, les yeux baissés privent la femme de toute forme d’autodétermination. Pensons à l’allégorie qui décrit le regard en tant que reflet de l’intériorité de l’individu, c’est-à-dire moyen d’expression du fond de l’âme : « les yeux baissés » empêchent de fait cette forme d’expression individuelle, ce qui révèle par ailleurs le manque de liberté d’expression. C’est la raison pour laquelle le geste de baisser les yeux est connoté négativement chez Ben Jelloun. Revenons au passage central de l’analyse. La narratrice se rend compte de son identité féminine et nie ce rôle sexuel qui lui est imposé. Le thème du regard sert ainsi de fil conducteur dans le roman car il est dirigé contre les traditions et normes conservatrices de la société maghrébine et brise les tabous établis. En conclusion, ce passage exprime la révolte contre la discrimination des femmes, non seulement de Fatma, mais aussi de toutes les femmes grâce à la voix narrative qui permet de se mettre à la place de la protagoniste et montre que l’auteur s’engage pour son émancipation.
Références bibliographiques:
- Gymnich, Marion 2010 : « Methoden der feministischen Literaturwissenschaft und der Gender Studies » dans Nünning, Vera (éd.) : Methoden der literatur- und kulturwissenschaftlichen Textanalyse: Ansätze – Grundlagen – Modellanalysen. Stuttgart: Metzler, 2010, pp. 251-253.
- 2 Ben Jelloun 1991 : Les Yeux baissés. Paris : Éditions du seuil, p 274.
- 3 https://www.dwds.de/wb/Patriarchat (dernier accès 23/06/2020)
- 4 Ben Jelloun 1991: p. 146.
5) Test de connaissance
Testez vos connaissances:
6) Exercice d’analyse
Un exercice par Nicoline F. et Klaudia P.
Lisez l’extrait attentivement et répondez aux questions suivantes. Justifiez votre choix:
« En fait, je fabrique tout un monde à partir de figures qui m’ apparaissent sur fond de ciel ou entre les branches de l’arbre : des animaux sauvages que je dresse, des hommes que j’aligne en haut d’une falaise, je les observe réduits à néant par la peur ; je ne fais que les épier ; je ne les pousse pas ; des oiseaux de proie dont j’adoucis les traits ; des nuages qui simulent la folie, des arbres qui se renversent, d’autres montent au ciel ; de là, je convoque le visage ingrat de Slima. C’est ma tante. Elle ne m’aime pas ; je la déteste. Mon père m’a laissé chez elle en partant travailler à l’étranger. Il m’a promis de revenir me chercher. Je l’attends. C ‚est pour cela aussi que je monte dans les arbres. Je scrute l’horizon et la piste, espérant le voir arriver un jour. Ma mère est souvent chez ses parents. Ils habitent de l’autre côté de la colline. Elle est enceinte et ne peut pas s’occuper de moi. Lorsque ma tante se proposa de m’accueillir chez elle, je ne voulais pas la suivre. Je savais qu’elle allait me maltraiter. Donc, assise confortablement sur la branche maîtresse de l’arbre, je fais venir à moi, plus exactement sur l’écran du ciel que je vois entre les feuilles, la figure hideuse de Slima. Je décide qu’elle est laide. C’est de l’argile malléable. Je fais deux trous à la place des yeux et une grande déchirure horizontale à la place de la bouche. Le nez est coupé. Avec mes pieds, je donne des coups jusqu’à ce que tout se confonde et qu’on reconnaisse aucune forme humaine. Pourquoi la laideur de l’âme s’échappe-t-elle du coffre intérieur et couvre-t-elle le visage ? La laideur physique ne me fait pas peur. C’est l’autre chose que je crains parce qu’elle est profonde, elle vient de tellement loin. Sur le visage, elle s’affiche et fait le malheur. […] Ma tante avait la haine dans les yeux. » (p.13f.)