Zeina Abirached, dessinatrice et écrivaine vivant à Paris, est née à Beyrouth en 1981 – au coeur de la guerre civile libanaise. Elle a fait ses études à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts de Beyrouth et à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Elle a toujours eu une prédilection pour le dessin et son enfance pendant la guerre l’a toujours préoccupée, mais elle n’a pas choisi de répondre directement aux attentes extérieures liées à une telle biographie.
Zeina Abirached est entrée dans le monde du BD au début des années 2000 avec ses premiers romans graphiques intitulés 38, rue Youssef Semaani (2006), [Beyrouth] Catharsis (2006) et Je me souviens, Beyrouth (2008), dans lesquels elle raconte ses souvenirs d’enfance pendant la guerre. A première vue, son oeuvre semble donc prévisible. Mais en lisant ses romans supposément de guerre, la question imminente que chacun.e se pose est : il est où, le sang ? Elle est où, la misère que lègue une guerre ? Elles sont où, les images effroyables de gens blessés ? Tous ces stéréotypes des guerres ne constituent pas les aspects déterminants des histoires racontées par Zeina Abirached. Au contraire, l’autrice dépeint la réalité d’une vie pendant la guerre telle qu’elle l’a vécue à ce moment-là : comme enfant.
La violence de la guerre est illustrée très subtilement, par exemple par des bruits de coups de feu qu’elle entend en jouant dans sa petite rue ou par les chemins secrets traversant la ville. Dans son ouvrage Mourir, partir, revenir – Le jeu des hirondelles (2007), sélectionné au festival d’Angoulême en 2008, l’artiste explique l’impact que le partitionnement en Beyrouth Est et Beyrouth Ouest a eu sur les citoyen.nes en racontant de petites histoires au lieu de la grande Histoire. En illustrant la vie quotidienne de sa famille, de ses voisin.es et de ses ami.es depuis sa perspective enfantine, Zeina Abirached réussit à évoquer d’une manière très émouvante les angoisses et les tracas des personnages déclenchés par les bombardements et d’autres situations de danger. Elle n’essaie pas du tout d’embellir le horreurs de la guerre civile, mais la douceur de l’enfance qui accompagne tous ses récits transmet une réalité à laquelle chacun.e peut s’identifier et qui nous apporte une proximité exceptionnelle avec le monde affectif des personnages marqués par les trauma de la guerre.
À l’aide de son art, l’artiste intégre ses mémoires de guerre et de sa vie d’après. Le bilinguisme et la coexistence du français et de l’arabe dans sa vie jouent des rôles très importants dans ses oeuvres. Le roman Piano oriental (2015) raconte l’histoire de son ancêtre qui inventa un piano oriental – un piano „bilingue“ – à Beyrouth pendant les années 1960. Cette histoire achronique qui prend place dans le cadre de l’histoire de son départ du Liban et de ses premières expériences en France met en valeur le principe de la transculturalité et le fait qu’il est impossible de décider quelle langue, quel pays ou quelle identité culturelle domine ou est plus important que l’autre. Son regard innocent nous fait comprendre le chaos qui vivent les personnes transculturelles, pour qui les frontières entre les différenets identités culturelles sont floues et chez qui deux langues fonctionnent comme une.
Dans son récit le plus récent, co-écrit avec Mathias Énard, Prendre refuge (2018), Zeina Abirached entremêle de nouveau deux histoires différentes, deux histoires d’amour transculturelles atypiques se déroulant à deux époques très complexes : en 1939 en Afghanistan et en 2016 en Allemagne. Zeina Abirached continue d’intégrer ses souvenirs d’enfance et ses expériences comme témoin d’une guerre affreuse et comme femme transculturelle en Europe. De nos jours, le travail d’assimilation de nos identités mises en réseau par le monde digital et la mondialisation est très important pour trouver et définir le chemin d’une nouvelle „normalité“.