C’est entre autres à cause de sa position à l’égard de la guerre d’Algérie que Camus fut et continue d’être l’objet de controverses, en France comme en Algérie. L’auteur reconnu dans le monde entier, né en Algérie et qui se définissait comme Algérien, identifie son pays natal comme la terre du bonheur, de l’énergie et de la création. Il intervient en faveur des victimes de déni de justice, il réclame la libération des détenus politiques, et il condamne les actions violentes de l’Armée française. Mais, dans le même temps, Camus, descendant des colonisateurs, ne réussit ni dans ses œuvres ni dans ses déclarations publiques à reconnaître et à soutenir les efforts d’autonomie et d’indépendance du peuple algérien.

Dans sa nouvelle L’Hôte, on trouve des mécanismes problématiques d’un point de vue postcolonial, comme j’aimerais l’évoquer maintenant.

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Pour commencer, un petit résumé de l’intrigue : le gendarme Balducci et un Arabe qui n’a pas de nom se présentent chez Daru, instituteur dans une région perdue du désert algérien. Balducci raconte que l’Arabe a tué son cousin, raison pour laquelle il l’a arrêté. Devant retourner à son poste à cause d’un soulèvement dans une autre partie de la région, il demande à Daru d’amener l’Arabe à la prison à quelques vingt kilomètres du village. D’abord, Daru refuse de livrer l’Arabe aux autorités françaises, mais le gendarme insiste puis s’en va, et Daru reste seul avec l’Arabe. Il lui ôte ses menottes et partage son repas avec lui. Pendant la nuit, Daru  espère que l’Arabe va fuir, mais le lendemain matin, il est encore là. Alors, Daru l’amène à une bifurcation : un chemin conduit à la prison, et l’autre chemin conduit à la liberté parmi les nomades. L’instituteur donne à manger à l’Arabe et le quitte. Après quelques minutes, il se retourne et voit que l’Arabe a choisi le chemin de la prison. À son retour à l’école, il voit une inscription au tableau. C’est une menace de vengeance : « Tu as livré notre frère. Tu paieras. » Les proches de l’Arabe pensent que l’instituteur a livré un des leurs. La nouvelle finit par les mots « Dans ce vaste pays qu’il avait tant aimé, il était seul. »

Analysons maintenant la portée politique de cette nouvelle. Premièrement, il y a un instituteur qui est pied-noir. La formation des autochtones est aussi un sujet de la nouvelle, et il y a la présence de l’administration française, en charge de la justice dans la colonie.

Si on examine les personnages de plus près, on remarque que Daru et Balducci représentent tous les deux les pieds-noirs et l’autorité française : l’un est gendarme et l’autre instituteur, ils exercent donc des métiers qui représentent l’État. Ils sont tous les deux d’origine européenne. D’un côté, Daru prend ses distances par rapport aux colonisateurs en refusant de livrer l’Arabe, de l’autre côté, il condamne aussi le délit de l’Arabe qui représente le colonisé.

Dans cette nouvelle, Daru a une position ambivalente parce qu’il vit volontairement dans cette région abandonnée et qu’en plus il est content de ne pas avoir beaucoup, comme le décrit le paragraphe suivant : « Devant cette misère, lui qui vivait presque en moine dans cette école perdue, content d’ailleurs du peu qu’il avait, et cette vie rude, s’était senti un seigneur, avec ses murs crépis, son divan étroit, ses étagères de bois blanc, son puits, et son ravitaillement hebdomadaire en eau et en nourriture. » Donc, il se détourne de la communauté européenne.

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Néanmoins, il est conscient qu’il ne fait pas partie du peuple indigène : quand Balducci et l’Arabe arrivent, il demande au gendarme : « Il est contre nous ? », se référant à l’Arabe. Donc, on peut dire que Daru refuse de se conformer totalement au système colonial, mais il suppose aussi une certaine hostilité de l’Arabe envers les Européens, ce qu’il montre quand il est étonné parce que l’Arabe n’est pas rebelle.

L’assimilation coloniale était une partie élémentaire de la mission civilisatrice en Algérie. Les Algériens étaient considérés comme bêtes et incapables. Dans L’Hôte, l’Arabe aussi est présenté comme arriéré et irrationnel, parce qu’il tue son cousin au lieu de contacter les autorités. La culture française, par contraste, est alors exemplaire et progressive en ce qui concerne la formation et le fonctionnement de la société.

Dans la nouvelle, Balducci s’adresse à l’Arabe en l’appelant « zèbre » et « animal », ce qui souligne encore une fois que l’Arabe est en quelque sorte inférieur et inhumain et ce qui reflète l’attitude raciste du gendarme.

Si on reste avec l’idée de la mission civilisatrice, on peut dire que Daru est d’une certaine manière émissaire de la civilisation française dans la mesure où il s’occupe de ses élèves en leur donnant du blé, comme le pays souffre de la sécheresse et, par conséquent, de la famine : « Il [=Daru] avait d’ailleurs de quoi soutenir un siège, avec les sacs de blé qui encombraient la petite chambre et que l’administration lui laissait en réserve pour distribuer à ceux de ses élèves dont les familles avaient été victimes de la sécheresse. En réalité, le malheur les avait tous atteints puisque tous étaient pauvres. Chaque jour, Daru distribuait une ration aux petits. Elle leur avait manqué, il le savait bien, pendant ces mauvais jours […] Des navires de blé arrivaient maintenant de France, le plus dur était passé. » Le pouvoir est entre les mains du colonialiste.

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De plus, l’instituteur donne des ordres courts et précis à l’Arabe et le traite comme un enfant, ce qui accentue encore une fois la présentation de l’Arabe comme inférieur. Par exemple dans cette partie : « Daru lui prit le bras et lui fit faire, sans douceur, un quart de tour vers le sud. […] L’Arabe s’était retourné maintenant vers Daru et une sorte de panique se levait sur son visage : « Ecoute », dit-il. Daru secoua la tête : « Non, tais-toi. Maintenant je te laisse. » […] L’Arabe était toujours là, au bord de la colline, les bras pendants maintenant, et il regardait l’instituteur. »

En outre, il y a la situation juste à la fin de la nouvelle où l’Arabe se décide à prendre le chemin à la prison. Qu’est-ce qu’on peut en conclure ? Premièrement, que le colonisé n’est pas capable de lui même de prendre la bonne décision quand il n’est pas tenu en tutelle. Deuxièmement, que l’Arabe en tant que colonisé ne comprend pas le comportement atypique de Daru, donc du colonisateur, et qu’il est dépassé par cette situation qui normalement est si facile. Et troisièmement, que l’Arabe a intériorisé le rôle du colonisé et donc, le fait qu’il doit se livrer lui-même à l’administration française.

Camus est et restera une des figures les plus remarquables du monde littéraire francophone. Son identité franco-algérienne et, comme on l’a examiné dans cette analyse, son empreinte colonialiste se reflètent dans ses œuvres de manière que „les Arabes“ soient aperçus comme un groupe homogène dont les individus n’ont pas de noms et que des possibilités limitées, alors que les colonialistes se montrent souvent assis entre deux chaises et comme profiteurs du système colonial.