Soudain, il y a un rhinocéros dans une petite ville en France. Intrigués et choqués, les habitants disent qu’ils ne peuvent pas accepter la présence de ce rhinocéros qui apporte des malheurs et qui bouleverse tout le monde – sauf Bérenger, qui, marginal dans cette société, tarverse une crise personnelle. Mais, petit à petit, tout le monde se transforme en rhinocéros, ce qui est le début d’un vrai désastre. Avec Rhinocéros, Ionesco nous présente une œuvre du théâtre absurde qui est extra-ordinaire par sa thématique et chargée d’aspects toujours actuels.
Eugène Ionesco (1909-1994), écrivain franco-roumain, est considéré comme l’un des représentants les plus importants du théâtre absurde. Dans sa pièce Rhinocéros, l’auteur décrit la transformation progressive d’une ville entière en rhinocéros. Assis dans un café un dimanche après-midi et débattant du niveau problématique de consommation d’alcool de Bérenger, les protagonistes Hans et son ami Bérenger remarquent soudainement un rhinocéros qui se met à paniquer sur le marché. Alors que la plupart des autres spectateurs sont complètement déconcertés, Bérenger ne semble pas être surpris de tout ce spectacle. Au contraire, il essaie même de trouver des justifications rationnelles à la situation, il suppose que le rhinocéros est sorti d’un cirque ambulant. Un peu plus tard, un deuxième rhinocéros passe et piétine le chat d’une habitante de cette petite ville, de manière que ses habitants commencent à s’inquiéter. Le lendemain, Papillon, responsable de département, et quelques autres employés discutent des événements du dernier jour dans le bureau de Bérenger dans une maison d’édition. Ils parlent non seulement de la présence des pachydermes, qui est niée avec véhémence par Botard, mais aussi de la race dudit rhinocéros, donc de savoir s’il s’agit d’un rhinocéros africain ou indien. Un peu plus tard, Mme Bœuf vient pour annoncer l’absence de son mari, qui travaille chez le même éditeur, à cause d’une grippe légère. En fait, M. Bœuf, lui aussi, s’est transformé en rhinocéros, et peu après, il apparaît dans le bureau et détruit ses escaliers en piaffant. Mme Bœuf reconnaît son mari, saute par la fenêtre et devient elle-même rhinocéros.
Vous voyez : quand j’ai dit que Rhinocéros est une œuvre absurde et spéciale, je n’ai pas exagéré ! À cause des événements étranges qui se déroulent dans la ville, les employés cessent temporairement de travailler. Pendant ce temps, Bérenger rend visite à Hans pour s’excuser du conflit du jour précédent. Enroué et nerveux, celui-ci est allongé sur son lit, et devant Bérenge se transforme, lui aussi, en rhinocéros, comme le font la plupart de ses amis et collègues tout au long de la pièce. Étant l’unique personne qui ne s’est pas transformé, Bérenger reste le marginal de la ville, celui qui ni peut ni ne veut s’intégrer à la société.
« La vie est une lutte, c’est lâche de ne pas combattre ! » (Rhinocéros, Gallimard 1959, page 48)
Avec Rhinocéros, Ionesco a notamment réagi au patriotisme et au racisme de plus en plus irréfléchis en France avant et pendant la guerre d’Algérie. En Allemagne, le spectacle avait été interprété comme une parodie du national-socialisme. Plus tard, Ionesco a déclaré que son œuvre était une critique des mouvements de masse en général et qu’elle ne faisait pas référence à des idéologies particulières. La pièce de Ionesco propose de nombreuses approches d’interprétation des personnages principaux. Nul doute qu’au fond, la thématique de cette pièce absurde pèse lourd. Quand même, je suis convaincue que c’est une œuvre qui, même presque 60 années après sa parution, pose des questions fondamentales par rapport à des idéologies, et concernant le totalitarisme et les mouvements de masse, et donc ne cesse d’être actuelle. Encore aujourd’hui, on peut observer des phénomènes de masse comme la formation et l’établissement d’une nouvelle droite dans certains pays en Europe, y compris en Allemagne avec le mouvement Pegida et l’AFD et en France avec les discours du Rassemblement National, jadis connu sous le nom de Front National, qui influencent énormément la perception de la société et le climat politique. En outre, actuellement, à cause de l’influence des médias sur nous, le problème de la désindividualisation est éminent, même s’il nous est suggéré que nous pouvons nous habiller et nous comporter comme nous le souhaitons. Très souvent, on échoue à s’apercevoir de cette influence de l’extérieur et du manque d’individualité. En définitive, dans Rhinocéros, Bérenger est la seule personne qui reste humaine, peut-être parce qu’il assume la responsabilité et pour lui-même et pour les autres personnages. Évidemment, la prise de conscience du fait qu’aucun mouvement de masse ne peut naître sans l’irresponsabilité de ses membres est centrale pour Ionesco. Et dans ce sens, cette pièce est un appel merveilleusement absurde à la prise de responsabilité, la réflexion individuelle et à la résistance quand elle est nécessaire.
Eugène Ionesco.