Ballerines en rose
Tableau peint à l’huile d’Edgar Degas

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La danse est l’expression d’un sentiment, d’une émotion ou d’un état. N’importe quel spectateur assistant à une représentation attend d’être transporté par un message ou dans un monde qui va lui procurer une émotion. Le danseur qui transmet le message doit lui-même le vivre et le ressentir à travers ses mouvements. Cependant, cette expression n’est que la finalité du processus.

Tout le monde ne peut prétendre à monter sur scène, danser et prendre aux tripes le spectateur. Ce processus tient compte d’une maitrise très rigoureuse de la danse. Un « simple » mouvement de bras sera en amont détaillé, répété, amplifié, rythmé, mesuré et surtout nommé. La danse classique est un symbole de rigueur parmi les danses académiques. Elle en est d’ailleurs le fondement.

C’est au XVème siècle que la danse classique naît en Italie, à l’occasion de mariages, et avec pour fonction de distraire les invités. Par la suite, c’est Catherine de Médicis qui, en épousant Henri II, l’exporte en France en 1533 et développe le ballet le transformant en un véritable spectacle de danse avec chants, versets, décors et costumes. Ensuite, c’est Louis XIV qui, avec son amour pour la mise en scène, le spectacle et la danse, donnera un souffle nouveau à la danse classique. C’est à partir de ces ballets que Jean-Baptiste Lully et Molière créeront leurs opéras-ballets et les comédies-ballets qui les rendront célèbres. Finalement, pour concrétiser sa passion, Louis XIV fondera en 1661 l’Académie Royale de Danse et en 1669 l’Académie Royale de Musique.

À la faveur de ces grandes pièces et de l’essor de la danse classique en France, la codification de celle-ci se fera majoritairement en langue française, en commençant par les cinq positions de base de la danse classique : la première, la seconde, la troisième, la quatrième et la cinquième, codifiées par Pierre Beauchamp, grand danseur de la cour de Louis XIV et premier auteur à mettre au point un système d’écriture de la danse. On peut également citer Carlos Blasis, l’un des plus grands théoriciens de la danse classique. Ce danseur et chorégraphe italien a rédigé deux ouvrages en français sur le vocabulaire de la danse. Le premier, Traité élémentaire théorique et pratique de l’art de la danse, écrit en 1820, et le second Manuel complet de la danse, dix ans plus tard. Dans ces ouvrages, on retrouve le détail des mouvements et leurs noms ainsi que le fondement de l’état d’esprit qu’un danseur se doit d’adopter pour que la discipline soit le plus parfaitement exécutée. 

À partir des années 1850, la popularité de la danse classique en France s’essouffle, elle reprendra vie grâce à la compagnie « Ballets Russes » de Serge de Diaghilev créée en 1917. Par la suite, le ballet se développera dans plusieurs pays du monde comme les États-Unis.

Cela dit, dans tout ce pan d’histoire du ballet, où se trouve donc la place de l’Allemagne ? Il semblerait que l’Allemagne ait développé ses ballets grâce à des danseurs et chorégraphes étrangers. Par exemple, l’Opéra de Hambourg, créé en 1678, semble avoir présenté principalement des ballets français. Ensuite, en 1838, l’opéra a disposé de son propre ballet permanent, composé majoritairement de danseurs étrangers comme la Française Marie Taglioni ou l’Italienne Carlotta Grisi. Ce ballet s’inspirera principalement des influences néoclassiques qui ont elles-mêmes conduit au « Ballets Russes ». Cet aperçu historique prouve que l’Allemagne n’a pas joué de rôle déterminant dans l’établissement de la danse classique et dans la création de son vocabulaire. Les ballets allemands semblent toujours s’être inspirés des tendances contemporaines de leurs époques, sans y ajouter de nouveautés.

Cependant, cela n’a pas empêché l’Allemagne d’avoir de très grands ballets classiques. En effet, la plupart des villes allemandes possèdent une troupe de ballet, contrairement à la France qui n’en possède que dans les villes les plus importantes comme Nice, Toulouse, Bordeaux et bien sûr Paris. Cette différence a été soulevée par un membre français de la compagnie de danse de Hambourg, Leeroy Boone, avec qui j’ai eu la chance d’entrer en contact. Il fait partie depuis 2016 du Hamburgballett, dirigé par le célèbre danseur et chorégraphe américain John Neumeier.

Ce n’est que plus tard, vers la fin du XXème siècle que la danse classique a connu des évolutions en Allemagne. Des danseurs comme John Neumeier qui créent des ballets dans lesquels la notion de danse classique évolue vers une danse plus contemporaine et apporte à la danse classique une touche nouvelle. Comme le dit Leeroy Boone, ce nouveau contexte de création est possible grâce à une soif de changement et à la curiosité du public allemand. C’est sur une base classique que beaucoup de chorégraphes et de danseurs s’autoriseront à évoluer vers des danses plus expérimentales. Cette évolution enrichit les ballets allemands, qui d’un « simple » ballet classique peuvent proposer des compositions dans un style néoclassique aussi bien que dans un style hip-hop ou contemporain. Ce changement apporte une renommée internationale aux ballets allemands. Par exemple, le Hamburgballett a la chance de se produire en Europe, en Asie et aux Etats-Unis.

Le ballet de Hambourg regroupe plus de soixante-dix danseurs. La plupart sont étrangers, car les danseurs viennent du monde entier pour faire partie de l’ensemble de John Neumeier. Les danseurs allemands ne représentent que 12,7% de la troupe, soit presque autant que les Français, avec 10,9%. Le reste est originaire de régions du monde très différentes, l’Italie, le Japon, l’Australie ou bien encore les États-Unis. C’est pour cela que les cours sont en anglais. Leeroy Boone explique que les termes de ballets, malgré l’image très stricte qu’on peut en avoir, varient en fonction des danseurs ou des maîtres de ballets mais aussi en fonction des méthodes d’enseignement, russe, française ou anglaise. Selon Leeroy Boone, le ballet de Hambourg se réfère à la méthode dite de Vaganova. Cette méthode a été inventée par la danseuse russe Agrippina Vaganova. Cependant, malgré l’usage d’une méthode russe et d’une langue de communication anglaise, il semblerait que le vocabulaire désignant les mouvements précis comme « un assemblé » ou « une arabesque » demeurent tout de même en langue française, de même que les mots utilisés lors de l’échauffement des danseurs, sous la conduite des maîtres de ballet, avant les représentations ou le travail avec le chorégraphe. Leeroy Boone souligne d’ailleurs qu’il a pu constater que dans les ballets allemands les termes français ne sont pas forcément bien interprétés par les danseurs et peuvent de ce fait être mal exécutés.            

Pour conclure, la danse classique est un art et une discipline inspirée de beaucoup de cultures différentes : une origine en Italie, en passant par la France et la Russie pour aujourd’hui permettre à des ballets du monde entier de développer cette discipline dans des directions sans limite. Bien que l’évolution du ballet n’ait pas de limite, son vocabulaire semble peu évoluer. Et c’est probablement grâce à cette base de communication internationale, malgré certaines divergences de méthodes et les petites interprétations maladroites, que la danse classique peut se développer aussi aisément. Le cas de l’Allemagne en est l’exemple parfait, car la danse classique a permis aux danseurs et chorégraphes de créer des œuvres contemporaines qui aujourd’hui sont reconnues partout dans le monde. La danse classique est un art chargé d’histoire et de culture qui ne cessera sûrement jamais de se développer tant que l’imagination de l’homme n’aura pas atteint ses limites.

Cet article a été rédigé par Lise L., étudiante de l’Université de Hambourg.

Un travail réalisé dans le cadre du projet „Französisch auf der Spur: Digitale Schnappschüsse an der Universität und in der Stadt“, avec le soutien du Jubiläumsfonds de l’Université de Hambourg, qui fête ses 100 ans en 2019.

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