Chère brosse à dents,

Ta poésie ne m’est pas plus cachée que celle de tout autre objet aussi habituel ou plus rare.

Il y a longtemps que j’ai fait le projet de m’occuper de toi, sans doute parce que je m’en veux de me servir quotidiennement de toi, quasi machinalement et sans y prendre garde, puis de te rejeter ou de te laisser retomber comme si tu ne m’étais de rien.

Il me faut aujourd’hui réparer cette injustice.

Lorsque je te saisis, chère brosse à dents, ton manche en plastique tient si parfaitement dans ma main et ta tête, recouverte de petites touffes formées de poils, nettoie si confortablement les espaces inter dentaires dans ma bouche que je n’ai plus envie de te lâcher. Chaque jour, quand j’entre dans la salle de bain après avoir déjeuné ou dîné, c’est un plaisir pour moi que le contact de ton manche familier.

Nul doute que je sois fière de posséder une ou plusieurs brosses à dents, comme certains sont fiers de leur caniche immaculé ou de leur troupeau de moutons frisés. Depuis longtemps, tu fais en sorte que mes dents soient toujours en bon état, ne deviennent pas jaunes ni ne se cassent pas. Ma dentiste me félicite, chaque fois que je lui rends visite, de mon excellente hygiène bucco – dentaire. Tu n’as pas besoin d’être électrique ou équipée de nombreuses fonctions supplémentaires pour que je reconnaisse ta valeur. 

Je te manifeste d’ailleurs aussitôt ma satisfaction en achetant le meilleur dentifrice que je puisse trouver au supermarché. Je te garde, hors de danger, dans un verre en plastique pour que tu puisses te reposer durant les heures pendant lesquelles je t’abandonne. 

Elle m’attend toute la journée à la maison, avec les autres meubles. Mais ce n’est qu’une simple brosse à dents. C’est mon amie. C´est elle la première qui, le matin, l’après – midi et le soir, sait exactement ce que j’ai mangé il y a quelques instants. 

Poème écrit par Julia Chlebda à la manière de Francis Ponge, dans le cadre du cours Expression Écrite et Orale 1 de Julie Müller au semestre d’été 2020.