Après la mort de son père, Didier Eribon décide de se replonger dans son passé à Reims pour comprendre les dynamiques sociales et familiales d’une communauté ouvrière. Pendant toute sa vie, il a ressenti une honte profonde contre sa ville natale et le milieu social dont il vient. En mêlant ses expériences personnelles avec des réflexions sociologiques sur les classes sociales, la construction des identités, le système scolaire et la sexualité, il essaie de comprendre cette honte. Dans cet article, je voudrais donner un petit aperçu des événements et analyses qui ont structuré sa subjectivité entière.

Dans son oeuvre autobiographique, Didier Eribon déclare simplement qu’il déteste son père. Ce père détesté symbolise « une sorte de modèle social négatif, un contre repère dans le travail que j’avais accompli, pour le créer moi-même ». Quand Eribon se réfère au « modèle social négatif », il entend sa classe originaire, celle des ouvrier.e.s. Selon lui, l’habitus de cette classe est marqué par la violence, l’homophobie, le racisme. Ce qui rend le texte d’Eribon intéressant, c’est qu’il ne juge pas les personnes de son passé, même s’il les détestait pendant son enfance et sa jeunesse. Par contre, il veut comprendre et expliquer la raison pour laquelle les gens adoptent certains points de vue. Donc, un des thèmes les plus importants dans la narration est celui de la formation des identités. Selon Eribon, tous les sujets sont les produits des dynamiques et conditions sociales, comme la classe sociale.

L’auteur du livre- Didier Éribon.

Description de sa famille

Eribon consacre une grande partie de son texte narratif à la présentation de sa famille. Son père, un ouvrier qui réussit à travailler comme contremaître, est caractérisé par son hyper masculinité. Sa mère, elle, n’avait pas pu réaliser son rêve de devenir enseignante parce qu’elle aussi était obligée de travailler à l’usine. Eribon s’intéresse aussi à leur vote pendant les élections. Il se souvient que ses parents et toutes les autres personnes de la classe ouvrière donnaient leur suffrage au parti communiste après la Seconde Guerre mondiale, mais que maintenant, la majorité vote pour l’extreme droite – le Front (ou Rassemblement) National. Autrefois, ils sentaient une attache profonde à leur classe ouvrière et voyaient ce lien représenté par les communistes. Didier Eribon explique la raison de ce changement profond du comportement électoral. Selon lui, les partis de gauche ne parlent plus la langue des personnes qui sont négligées, méprisées ou précarisées par la société. Par contre, ils ont adapté la langue des classes dominantes, une langue que les ouvriers et ouvrières ne parlent pas. Et même plus : ils ne la comprennent pas.

La violence invisible

Les analyses et les observations d’Eribon se réfèrent surtout à la violence invisible. Cette forme de violence n’est pas ouverte ou directe. Elle est subtile. Elle nous suggère que la manière dont notre société est structurée est normale. Le racisme des institutions, la discrimination des femmes, les possibilités limitées des personnes des classes populaires : tous ces exemples sont les modalités de la violence invisible. Edouard Louis écrit dans ce contexte:

„Ce que ma mère pensait comme un choix, comme une petite caractéristique individuelle à peine intéressante à raconter, avait en fait un sens très profond : les femmes dans son cas, nées dans un milieu pauvre, dans un petit village loin de tout, étaient dans l’ensemble prédestinées à cette vie, à ne pas faire d’études, à avoir des enfants très jeunes, comme la mère de Didier Eribon. Tout à coup, après la lecture de Retour à Reims, une simple phrase de ma mère avait un sens vertigineux, presque infini, qui disait quelque chose sur le monde, sur les inégalités sociales, la reproduction, le destin – les destins collectifs“.

Eribon ainsi qu’Edouard Louis soulignent que l’idée d’avoir toutes les possibilités ouvertes dans sa propre vie est un narratif faux. Cette idéologie me´ritocratique qui suppose qu’on peut réussir tout en travaillant dur est un mensonge qu’on raconte aux pauvres pour qu’ils ne réalisent pas que leur situation est le résultat des forces sociales. Didier Eribon se réfère à Bourdieu en disant que le capital social, le capital culturel et le capital matériel déterminent tous le dévelopement de la vie d’une personne.

Opinion personnelle

Pour moi, la lecture de Retour à Reims a été une expérience très personnelle et intime. Bien qu’Eribon ait souffert de discriminations différentes comme la homophobie dans sa communauté, j’ai pensé beaucoup aux autres dimensions de marginalisation, comme celui du racisme ou l’arrogance de classes par exemple. De plus, j’ai réalisé que je comprends la société d’une mani`ère plus profonde maintenant. Au lieu de penser que tout succès dans la vie est le fruit de décisions et d’efforts individuels, je me place dans une perspective plus large : celles des dynamique sociales.

Et vous, avez-vous aussi lu un livre qui a changé votre perspective sur votre vie ou sur la société dans laquelle vous vivez ? Racontez-nous !