Charles Baudelaire

par Luisa O.

  1. 1) Biographie
  2. 2) Les fleurs du mal
  3. 3) Analyse littéraire: À une passante – Les fleurs du mal
  4. 4) Test de connaissance
  5. 5) Exercice d’analyse

1) Biographie

Charles Baudelaire, né à Paris le 9 avril 1821 et mort à Paris le 31 août 1867, est un écrivain, poète et critique français. Auteur de nombreux poèmes et de textes de critique d’arts, qui sont publiés au milieu du XIXe siècle, Baudelaire est quasiment ignoré par ses contemporains.[1] Pourtant, son œuvre est citée dans la plupart des canons littéraires d’aujourd’hui et il est l’un des poètes les plus importants de la littérature française. Il est considéré, notamment pour son recueil de poèmes Les fleurs du mal , comme un précurseur du mouvement littéraire du symbolisme et comme un avant-gardiste de la modernité.[2]

Fils de François Baudelaire (*1757 † 1827) et Caroline Dufays/Aupick (*1793,†1871), Charles Baudelaire grandit d’abord à Paris. Son père est peintre et il décède alors que Charles Baudelaire a cinq ans. Sa mère se remarie en 1828 avec le Génèral Jaques Aupick. Tandis que le père de Baudelaire est un amateur des idéaux des Lumières et lui-même un artiste, le Géneral Aupick, hostile envers Charles, lui prodigue une éducation autoritaire. À cause de la carrière de son beau-père, Charles Baudelaire doit plusieurs fois déménager de Paris et Lyon, et vice-versa. Après des études secondaires à Lyon, il est exclu du lycée à Paris en 1839, à cause de son indiscipline et de son comportement contestataire.[3] Néanmoins, grâce à la ténacité de son beau-père, il réussit à passer le baccalauréat, bien qu’il obtienne de mauvaises notes. Il s’inscrit ensuite à la faculté de droit en 1840, mais il n’assiste à aucun cours. Ensuite, Baudelaire mène une vie marginale et de bohème dans le Quartier latin à Paris et il se comporte en dandy. En fréquentant des débits de boisson, des théâtres et aussi des maisons closes, et en achetant des vêtements luxueux, il accumule les dettes. Par ailleurs, il a une liaison avec une prostitué et il attrape la syphilis. Ses parents sont désespérés à cause du comportement de leur fils, par conséquent le rapport avec sa mère s’aggrave.[4] Sous la pression de sa famille et notamment sous l’influence du Général Aupick, il est contraint d’embarquer pour les côtes d’Afrique et de l’Orient en 1841. Pendant ce voyage de 18 mois, il est inspiré par la nature tropicale et l’environnement exotique. Il commence à écrire ses premiers poèmes, qui seront publiés plus tard dans le recueil de poèmes Les Fleurs du Mal.[5] De retour de voyage, il décide de reprendre sa vie de dandy et de s’adonner à la littérature. Il obtient und part d’héritage de ses parents mais il en dépense la moitié pour les drogues, l’alcool et pour son apparence extérieure avant que ses parents ne décident de le déshériter ultérieurement. Ensuite, il vit dans la pauvreté.[6] En 1842, il fait la connaissance de l’actrice Jeanne Duval, qui devient son amante et sa muse jusqu’en 185 . Il a parallèlement une liaison avec l’artiste Apollonie Sabatier.[7] Entre 1845 et 1856, essayant de s’établir comme écrivain, il n’a pas beaucoup de succès. De temps en temps, il réussit à publier des poèmes ou des nouvelles dans des magazines de littérature comme la nouvelle Le jeune enchanteur et La fanfarlo (1846,1847). En outre, il rédige des récits sur les expositions d’art et il publie des œuvres de critique d’art (par exemple le Salon de 1845) dès 1845.[8] Il traduit l’œuvre d’Edgar Alan Poe, son idole en littérature, et il publie les traductions de ses récits en 1856 afin que le public français découvre l’écrivain américain.[9] En 1856 encore, à l’âge de 36 ans, Baudelaire publie son recueil de poèmes Les Fleurs Du Mal. Bien qu’il devienne un peu plus reconnu comme auteur et critique d’art au cours de ces dernières années, ses problèmes financiers s’aggravent. Marqué par les drogues et les maladies, son état de santé se dégrade rapidement : il est bientôt paralysé et sa mère le fait soigner à l’hôpital. Ayant mené une vie marquée par l’échec, la pauvreté, la dépression et beaucoup de désillusions, Charles Baudelaire meurt en 1867 à l’âge de 46 ans.[10]

Références bibliographiques

  1.  http://www.alalettre.com/baudelaire.php
  2.  https://www.espacefrancais.com/charles-baudelaire
  3.  https://www.espacefrancais.com/charles-baudelaire
  4. Neri, Matteo: Baudelaire. Die Legende. Würzburg:Königshausen & Neumann, 2019, S.46.
  5.  https://www.etudes-litteraires.com/baudelaire.php
  6.  Neri, Matteo. S. 50.
  7.  Neri, Matteo.S. 50.
  8.  https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Charles_Baudelaire/107873
  9.  Grimm Jürgen ; Hartwig, Susanne:(Hrsg.) Französische Literaturgeschichte. 6. Auflage. Stuttgart: J.B. Metzler, 2014, S.283.
  10.  https://www.espacefrancais.com/charles-baudelaire

image 1: Frontispice de la première édition des Fleurs du mal annotée par Baudelaire.

2) Les fleurs du mal

Le recueil de poèmes Les fleurs du mal contient la production lyrique de Charles Baudelaire de 1840 jusqu’à sa mort en 1867, autant dire que le recueil de poèmes représente presque la totalité de la production lyrique publiée de l’auteur.[1]

1. La Perception de l’œuvre au XIXe siècle
2. La structure de l’œuvre
3. Les sujets et motifs principaux dans Les fleurs du mal
4. La catégorisation de l’Œuvre:
– Les fleurs du Mal, le romantisme et le naturalisme
– Les fleurs du Mal et le Symbolisme
– Les Fleurs du Mal et la Modernité
5. Adaptation musicale: Les fleurs du mal chantées par Léo Ferré 1857-1957

La Perception de l’œuvre au XIXe siècle: La Publication, La censure et la re-publication

Publié d’abord le 23 août 1857 par l’éditeur Auguste Poulet-Malassis, le recueil de poèmes Les fleurs du Mal de Charles Baudelaire scandalise la société bourgeoise par son immoralité. À cause de la crudité du langage et de l’originalité des thèmes, Baudelaire est attaqué en août 1857 pour outrage à la religion et aux bonnes mœurs.[2] Accusé d’être un provocateur et de blasphémer, il est condamné à payer une amende de 400 francs dans une procédure judiciaire. En outre, six poèmes de la première version du recueil de poèmes sont censurés. De 1861 à 1867, l’œuvre est rééditée dans trois versions différentes, dans lesquelles Baudelaire ajoute de nouveaux poèmes.[3]

La structure de l’œuvre

Sur la base de la censure et des re-publications, il y a aussi des changements dans l’ordre des poèmes, de même qu’il y a une structure transformée dans chaque version du recueil de poèmes. Cependant, les structures se révèlent comme une composition réfléchie de l’auteur.[4] La dernière version contient 136 pièces arrangées en six parties différentes: Spleen et Idéal (85 poèmes), tableau parisiens (16 poèmes), Le Vin (5 poèmes) Fleurs du Mal (12 poèmes), Révolte (3 poèmes), La Mort (6 poèmes).[5] Beaucoup de poèmes sont rédigés sous forme de sonnet, un format de poème qui est aussi renouvelé par Charles Baudelaire.[6]

Les sujets et motifs principaux dans Les fleurs du mal

Dans les 163 poèmes Baudelaire présente des sujets différents, qui, pourtant, peuvent être catégorisés en quelques motifs principaux. La première partie, Spleen et Idéal, explore les états d’âme du poète, entre ennui du quotidien et recherche d’un idéal impossible à atteindre. Elle est suivie par Tableaux parisiens – une partie qui est consacrée au Paris moderne et à sa foule bizarre et insolite. Les quatre parties suivantes – Le Vin, Révolte, La Mort et Voyage – prolongent cette tentative d’extraire la beauté du Mal et établissent de manière forte une dichotomie ‚grotesque/’sublime‘.[7] Notamment dans Spleen et Idéal, le moi lyrique se produit comme un sujet contradictoire déterminé par le spleen et par les fantasmes inaccessibles et injoignables.[8] Ainsi, les motifs principaux y sont le rêve, le voyage, la décadence et la dégradation qui s’aligne dans ce contexte. En outre, la vie urbaine dans la grande ville moderne (Paris) se révèle comme un motif important (voir: 4.3.Les Fleurs du Mal au vu de la Modernité) tandis que la biographie de Charles Baudelaire et son voyage en Afrique servent d’appui pour son évocation du motif de l’exotisme. En outre, le motif dominant de la mort, de même que le langage visuel morbide et obscure dans Les Fleurs du Mal se présentent également comme des références à l’itinéraire biographique sinistre de l’auteur.

La catégorisation de l’Œuvre: entre le mouvement littéraire du romantisme, du symbolisme, et la Modernité

L’œuvre Les fleurs du Mal est souvent catégorisée dans les mouvement littéraires du romantisme postérieur et du symbolisme. Mais l’œuvre se présente avant tout comme le point de départ à la Modernité, notamment par rapport à la poésie lyrique.[9]

Les fleurs du Mal, le romantisme et le naturalisme

Au milieu du XIXème siècle, quand Les Fleurs du Mal est publié, le mouvement littéraire prédominant est le naturalisme. L’idéal principale des naturalistes est le regard objectif sur le monde: ils veulent expliquer la Nature avec les lois scientifiques, de même qu’ils visent à la description exacte de l’homme qu’ils voient comme fortement déterminé par son environnement.[10] Cependant, dans les poèmes de Les Fleurs du Mal, Baudelaire s’oppose à cette vision objective, absolument réaliste et scientifique. En analysant les motifs principux, nous pouvons constater une conception plus spirituelle du monde, qui ressemble plutôt à celle du romantisme. La conception du monde des écrivains romantiques est également marquée par l’obscurité mystique, influencée par l’idéalisation des mondes irréels (comme le rêve) : l’homme est aussi vu comme un sujet contrôlé par le désir, la folie et il y a une fascination envers le dérèglement de sens. Vu sous cet angle, nous pouvons voir dans Les fleurs du Mal des aspects d’une poursuite et d’une modernisation du romantisme.[11] Il y a néanmoins des différences déterminantes entre l’esthétique baudelairienne et celle des écrivains romantiques, notamment sur le plan de la conception du beau et dans le contexte de l’idéalisation de l’artificiel.

Les fleurs du Mal et le Symbolisme

Charles Baudelaire est aussi considéré comme le précurseur du symbolisme, un mouvement littéraire qui se développera seulement à la fin du XIXe siècle autour des écrivains comme Rimbaud, Verlaine et Mallarmé, c’est-à-dire après la mort de Baudelaire. Rimbaud notamment admettra la grande influence de Les Fleurs du Mal sur son œuvre. Comme Baudelaire, les symbolistes ont également une conception spirituelle du monde. Ils s’opposent, comme Baudelaire, au positivisme et ils veulent rompre avec les certitudes matérialistes et scientifiques du naturalisme. Par contre, ils veulent trouver d’autres moyens d’expression pour dépasser la simple représentation réaliste. Afin d’exprimer de nouvelles sensations, le rôle de la langue devient plus important : dans les poèmes baudelairiens, le symbolisme découle de des moyens empruntés à la philosophie du Parnasse et à L’Art pour L’Art.[12] Au niveau des moyens stylistiques, les symbolistes utilisent des symboles, autant le préciser: des images et des analogies pour évoquer le monde, suggérer les états d’âme et les idées abstraites sans les expliciter alors que la pensée logique exploite les données du réel.[13] À propos des poèmes de Les Fleurs du Mal, nous voyons que cela est aussi une technique de l’auteur. Baudelaire utilise beaucoup de symboles en créant de nouvelles associations, au point que des symbolistes en feront leur idole. C’est aussi la raison pour laquelle Baudelaire est considéré comme un avant-gardiste du symbolisme.

Les Fleurs du Mal et la Modernité

Dans la mesure où la poésie lyrique du symbolisme est considérée comme le point de départ de la Modernité, l’œuvre Les fleurs du Mal nous présente quelques qualités stylistiques qui représentent la Modernité en particulier. Le titre de ce recueil de poèmes nous fait déjà comprendre comment Baudelaire manifeste une perspective non conventionnelle en mêlant le beau (les fleurs) au mal ou le bien au démoniaque.[14] Il rompt avec la cohérence du beau et avec l’idéalisation de la nature, telle qu’elle est pratiquée par les écrivains romantiques par exemple. Baudelaire nous y présente une nouvelle conception du beau, en manifestant une esthétique de la laideur, que l’on retrouve tout au long de Les fleurs du Mal. En établissant cette subversion esthétique, qui apprécie l’artificiel, il se révolte aussi contre la société bourgeoise.[15] Au niveau des moyens stylistiques dans Les fleurs du Mal, Baudelaire crée un univers hermétique en utilisant des symboles et des images paradoxales, qui évoquent une inquiétude. Par conséquent, Baudelaire y manifeste un motif distinctif de la Modernité: l’ambivalence du sujet.[16] Au niveau de la perspective qui est établie dans les poèmes de Les fleurs du Mal, Baudelaire se révèle aussi comme moderniste. En exacerbant le rêve, l’imaginaire, le paysage intérieur, et l’association, Baudelaire révolutionne la perspective de la subjectivité, qui sera également explorée par les avant-gardistes du XXe siècle (p.e. par les surréalistes). Un autre aspect sur le plan de la Modernité est le thème du sujet face à l’urbanisation que l’on retrouve dans beaucoup de poèmes de Les Fleurs du Mal. Au vu de la modernisation, de l’urbanisation et au progrès technique en hausse qui caractérisent le milieu du XIXe siècle, Baudelaire est le premier poète français qui traite la grande ville comme un objet artistique en poésie. L’homme est exposé à l’accélération moderne du monde, en même temps qu’il est met en question sa singularité mise à mal par les foules urbaines et par rapport à la fugacité de la grande ville.[17] Dans son essai Le peintre de la vie moderne, publiée en 1863, Charles Baudelaire définit le terme de la modernité au regard de l’art : La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et immuable[18] Dans cette citation l’auteur décrit quelques critères essentiels de l’esthétique moderne qui sera introduite dans les décénies suivantes. En conséquence, Baudelaire est vu aussi comme un précurseur de la Modernité.

Adaptation musicale: Les fleurs du mal chantées par Léo Ferré 1857-1957

100 ans après la première publication du recueil de poèmes Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire, le chansonnier Léo Ferré sort l’album Les Fleurs du mal chantées par Léo Ferré 1857-1957 en 1957, distribué par Odéon. Il s’agit du premier album de chanson française entièrement consacré à un poète. L’album se compose de douze pièces qui sont extraites de Les Fleurs du Mal. Il met en musique aussi trois des six poèmes qui étaient censurés.[19]

Références bibliographiques

  1.  https://www.espacefrancais.com/charles-baudelaire
  2.  http://classes.bnf.fr/essentiels/grand/ess_2041.htm
  3.  https://www.larousse.fr/encyclopedie/oeuvre/les_Fleurs_du_mal/119671
  4.  https://www.larousse.fr/encyclopedie/oeuvre/les_Fleurs_du_mal/119671
  5.  https://www.bacdefrancais.net/les-fleurs-du-mal-baudelaire.php
  6.  Murphy, Steve (Hrsg). Lectures des Fleurs du Mal. Rennes: Didact français, 2002 S. 197.
  7.  http://passerelles.bnf.fr/faits/pas_695.php
  8.  Foloppe, Régine; Baudelaire et la vérité poétique, Paris: L’Harmattan, 2019, S.56.
  9.  Hartwig, Susanne; Stenzel, Hartmut: Einführung in die französische Literatur-und Kulturwissenschaften 2007, J.B Metzler Stuttgart S. 196.
  10.  https://www.espacefrancais.com/le-symbolisme/
  11. Metzler, S.284.
  12.  https://www.etudes-litteraires.com/symbolisme.php
  13.  https://www.etudes-litteraires.com/symbolisme.php
  14.  Grimm, Jürgen ; Hartwig, Susanne:(Hrsg.) Französische Literaturgeschichte. 6. Auflage. Stuttgart: J.B. Metzler, 2014, S.284.
  15.  Hartwig, Susanne; Stenzel, Hartmut : Einführung in die französische Literatur-und Kulturwissenschaften 2007, J.B Metzler Stuttgart S.197.
  16.  https://www.etudes-litteraires.com/modernite-xix.php
  17.  Grimm, S. 285.
  18.  https://www.etudes-litteraires.com/modernite-xix.php
  19.  https://leo-ferre.com/les-fleurs-du-mal-suite-et-fin

3) Analyse, À une passante – Les fleurs du mal

La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et immuable [1] Dans cette citation, que nous avons également vue dans l’article sur l’œuvre Les fleurs du mal, l’auteur décrit quelques qualités de la Modernité par rapport au transitoire, au fugitif et au contingent. En analysant la production lyrique de Charles Baudelaire, nous pouvons trouver aussi ces motifs dans quelques poèmes de Les Fleurs du Mal. Pour examiner quelques-uns de ces aspects modernistes et pour montrer dans quelle mesure Charles Baudelaire est un précurseur de la Modernité, nous allons analyser ici le poème A une passante. D’abord publié en 1860 dans la revue L’artiste, ce poème se trouve également dans la deuxième édition du recueil de poèmes Les fleurs du mal.

Extrait d’analyse:

À UNE PASSANTE
La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d'une main fastueuse Soulevant, balançant le feston et l'ourlet; Agile et noble, avec sa jambe de statue. Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.Un éclair... puis la nuit! — Fugitive beauté Dont le regard m'a fait soudainement renaître, Ne te verrai-je plus que dans l'éternité?Ailleurs, bien loin d'ici! trop tard! jamais peut-être! Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais!

Analyse

Au niveau de la structure du poème, nous pouvons constater que A une passante est rédigé sous forme de sonnet – un format lyrique très régulier, qui se compose de quatre strophes. Les deux premières strophes se composent de quatre vers – de quatrains. Les deux dernières strophes sont regroupées en tercets (trois vers par strophe). Nous pouvons observer aussi cette régularité au vu du mètre: hormis les vers 5 et 6, tous les vers sont des alexandrins (douze syllabes par vers).[2] L’impression d’ordre offert par la forme produit une première impression de calme et est en forte opposition avec le contenu du poème, qui nous présente de manière distincte le motif de l’inquiétude. Si l’on se réfère à la définition de la Modernité par Baudelaire, nous pouvons ainsi trouver des motifs du transitoire, du fugitif, et du contingent qui font office dans le poème de fil conducteur. D’abord, nous pouvons trouver ces motifs au niveau de la langue. En analysant les champs lexicaux du poème, nous pouvons voir comment ces motifs du transitoire et du fugitif sont déjà introduits dans le premier vers, au moment-même où le moi lyrique se manifeste comme le locuteur du poème. La rue assourdissante autour de moi hurlait. Les sèmes «rue», «assourdissante» et «hurlait» correspondent au champ lexical du transitoire et du fugitif et ils introduisent le motif de l’inquiétude. Parallèlement, le premier vers plante le décor d’une grande ville où les événements qui suivent se déroulent. Cette scène moderne de la grande ville est aussi fortement associée au bruit, à l’agitation, et aux foules. Même si le locuteur ne décrit pas les qualités de cette grande ville de manière précise, nous voyons que cet environnement détermine aussi l’entrevue avec la femme dont il parle. Cette entrevue est également fortement marquée par la fugacité, comme nous voyons déjà dans le vers trois où la figure féminine est introduite: Une femme passa Le verbe «passer» décrit un mouvement et relève de nouveau du champs lexical de la fugacité. La femme semble marcher rapidement, tout en soulevant et balançant «le feston et l’ourlet».(Vers quatre) Dans les vers suivants, la femme est caractérisée par la perspective du moi lyrique et nous constatons aussi que cette description correspond au motif de l’inquiétude. En analysant les adjectifs qui décrivent la passante, nous voyons d’abord qu’elle est associée à la beauté : Elle est «longue», «mince» et «majestueuse» (Vers 2), elle est dotée «d’une main fastueuse», et elle est «noble et agile» (Vers 5). Pourtant, bien qu’elle représente le plaisir pour le moi lyrique, elle représente aussi la douleur: elle est «en grand deuil», elle est marquée par «la douleur».(Verse 2) Cette opposition – qui évoque encore une fois l’inquiétude – est renforcée dans les deniers deux vers de la deuxième strophe. Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan, Dans ce vers, la passante est même associée par le moi lyrique, qu’il l’admire pourtant, à une atmosphère menaçante. Le dernier vers de la deuxième strophe montre encore une fois l’essentiel de cette relation contradictoire: La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. Dans ce vers, le plaisir est lié à la mort – un paradoxe très fort, qui nous permet encore une fois d’illustrer la nouvelle conception du beau de l’auteur. (voir 4.3. Les fleurs du Mal au vu de la Modernité. En examinant de manière plus approfondie la description de la femme, nous observons qu’elle est aussi décrite comme une «fugitive beauté» (Verse 9 ) au début de la troisième strophe. Nous pouvons donc constater que cette femme se manifeste comme l’incarnation de la fugacité dans le décor moderniste de la grande ville.[3] Plus loin encore, la passante est pour le moi lyrique comme «un éclair» dans la nuit (Vers 9). Tout en convoquant de nouveau la métaphore de la fugacité, cette image montre la femme comme une puissance naturelle, qui illumine pendant un bref moment la réalité du moi lyrique. Pourtant, la femme n’a pas de nom et la description de son physique est très vague. Par conséquent, la passante reste une étrangère. Le bref moment de son apparence est aussi le moment de sa disparition. Le moi lyrique est confronté à ce paradoxale insoluble tout en devenant prisonnier de sa fascination contradictoire.[4] Dans ce contexte, les deux dernières strophes traitent du désespoir et de la désillusion du moi lyrique au vu de cette relation contradictoire. Quand la femme est passée, le moi lyrique se demande s’il pourra revoir cette femme seulement dans l’éternité, bien qu‘ il sache que cela sera trop tard. En outre, il lui reste l’incertitude des retrouvailles. («jamais peut-être! – Verse 12) Dans la mesure où la passante reste une étrangère, elle devient une projection du désir du moi lyrique. Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! L’utilisation du conditionnel dans le dernier vers du poème souligne encore une fois l’impossibilité de résoudre le paradoxe. Ces vers ponctués par des points d’exclamation soulignent l’émotion désespérée du moi lyrique. Pourtant, la «fugitive beauté» reste toujours liée à la douleur, de même que le désir de ce dernier restera vain. La passante n’est qu’un fantasme dans une grande ville agitée. Pour conclure, nous pouvons constater que A une passante est un très bel exemple pour examiner les éléments modernes que Baudelaire décrits dans la citation mentionnée. La grande ville, qui est aussi le symbole de la Modernité, de même qu’elle est le symbole de l’industrialisation et de l’urbanisation du XIXème siècle, se révèle comme le décor du poème. Face à cette urbanisation, le sujet moderne devient un étranger. Il est confronté à l’aliénation de son environnement et de ses proches.[5] Dans ce contexte, nous avons vu de manière très claire comment Baudelaire met en scène le transitoire, le contingent, le fugitif au travers de l’expérience du moi lyrique et de sa rencontre fugitive avec la femme. Après avoir analysé le poème, nous pouvons comprendre un peu mieux pourquoi Charles Baudelaire est considéré comme le précurseur de la Modernité. De nos jours A une passante est aussi un des poèmes les plus connus de Charles Baudelaire et est également vu comme un cas d’école de la Modernité et de la poésie lyrique moderne en général.

Références bibliographiques

  1. https://www.etudes-litteraires.com/modernite-xix.php
  2.  https://www.etudes-litteraires.com/etudier-un-poeme.php
  3. Hartwig,Susanne; Stenzel,Hartmut: Einführung in die französische Literatur-und Kulturwissenschaften. Stuttgart: J.B Metzler, 2007, S.200
  4. Hartwig, S. 201
  5. Hartwig, S. 201

4) Test de connaissance

Testez vos connaissances:

[h5p id="149"]

5) Exercice d’analyse

un exercice par Luisa O.

Lisez le poème « L’invitation au voyage » de Charles Baudelaire plusieurs fois et répondez aux questions suivantes:

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Pierre Corneille

par: Catherine S., Kaya W. et Melania C.

1) Biographie

Pierre Corneille ou « le Grand Corneille » est un dramaturge et poète français. Corneille est né en 1606 à Rouen en Haute-Normandie et est le premier des six enfants d’une famille bourgeoise. Comme son père, il devient avocat et à dix-huit ans, il commence à travailler au parlement de Rouen en tant qu’avocat. Même si Corneille fait des études de droit, sa véritable passion depuis sa jeunesse est la littérature : sa première comédie, Mélite, devient un grand succès en 1629 et encourage le jeune auteur à écrire la tragi-comédie Clitandre et des comédies tels que La Place royale ou l’Amoureux extravagant. Avec Médée, il écrit sa première tragédie en 1635. En 1636, il rédige deux œuvres qui montrent son indépendance littéraire : L’Illusion comique est un mélange de différents styles et comme le cardinal Richelieu s’oppose au duel, Le Cid avec ses deux duels est considéré un affront contre le cardinal. Par ailleurs, Le Cid marque un changement par rapport aux premières comédies de Corneille s’inspirant des modèles espagnols : désormais ses tragédies seront basées sur l’histoire romaine comme l’illustrent Horace, Cinna, Polyeucte, Pompée et Rodogune. La fin de la carrière de Corneille se distingue par le fait que Corneille est remplacé par Jean Racine, un dramaturge plus jeune avec des idées plus innovatrices. Corneille meurt en 1684 à Paris.

2) La réception de son œuvre

Un motif important dans toutes ses œuvres est le conflit entre les sentiments et le devoir – voilà pourquoi on parle toujours de « choix cornélien » pour désigner un choix entre ces deux valeurs. Pour Corneille, il est important de capter l’air du temps – quand les tragi-comédies ne sont plus en mode, Corneille fait évoluer Clitandre et Le Cid en tragédies. Pourtant, à l’époque de Corneille, il y a beaucoup de controverses sur ses œuvres. A une échelle internationale, Pierre Corneille et ses œuvres sont des modèles pour certains écrivains allemands, notamment pour Gotthold Ephraim Lessing qui fait des œuvres de Corneille un sujet central dans ses analyses du classicisme.

3) Corneille et la doctrine classique

Au XIIe siècle en France, la littérature reprend les codes esthétiques de l’Antiquité – le « classicisme » est fondé sur la raison et l’ordre. Aristote devient le garant de cette régularité et ainsi le poète est considéré comme un imitateur de la nature. Son œuvre doit ainsi suivre les règles de la vraisemblance et de la bienséance et elle doit être en accord avec les trois unités : action, lieu et temps. Après son grand succès avec Le Cid, Corneille publie un poème avec le titre Excuse à Ariste, qui constitue un manifeste de l’autonomie. Sa lettre déclenche un grand débat et une profonde analyse du Cid – ou on l’accuse d’avoir ignoré les règles de la tragédie classique. La Querelle du Cid représente une étape importante pour imposer la doctrine classique.

Références bibliographiques:

Bénichou, Paul (2002): «Le héros cornélien», in Morales du Grand Siècle, Paris, Folio Essais.

Corneille, Pierre : Le Cid Französisch/Deutsch, hg. von Hartmut Köhler. Stuttgart, 12020 Guichemerre, Roger (1981): La tragi-comédie, Paris, PUF, coll. «Littératures modernes».

Köhler, Erich : Vorklassik. Henning Krauß/Dietmar Rieger (Hrsg.). [Vorlesungen zur Geschichte der französischen Literatur, Band 2] Freiburg : ohne Verlag. 2006 <https://freidok.uni-freiburg.de/fedora/objects/freidok:2663/datastreams/FILE1/content> [Zugriff am 28.02.2021]

Poulet, Georges : Corneille. In Études sur le temps humain, Paris, Pocket Agora, 2004.

Prigent, Michel (Hrsg.) (2006): Histoire de la France littéraire. Tome 2. Classicismes XIIe – XVIII siècle. Paris: Presses Universitaires de France.

Stenzel, Hartmut (1995) : Die französische„Klassik“.Literarische Modernisierung und absolutistischer Staat. Darmstadt: Wissenschaftliche Buchgesellschaft.

Gustave Flaubert

par Jil A. et Lucie G.

  1. 1) Gustave Flaubert – Biographie
  2. 2) Madame Bovary – Critique et importance de l’œuvre
  3. 3) Test de connaissance

1) Biographie

Gustave Flaubert naît le 12 décembre 1821 à Rouen, où dès sa jeunesse, il commence à écrire des nouvelles et des romans. En 1841, il commence des études de droit à Paris, mais en raison d’une maladie nerveuse et de crises d’épilepsie, il abandonne ses études et revient à Rouen. Flaubert s’installe ainsi à Croisset en 1844. Successivement, son père et sa jeune sœur décèdent, lui permettant grâce à l’héritage qu’il reçoit, de se consacrer à l’écriture. De 1851 à 1856, il écrit Madame Bovary, sa toute première œuvre, pour laquelle il s’inspire d’un fait divers. L’auteur publie ce roman en 1857 et celui-ci fait scandale. Pour écrire Salammbô, publié en 1862, il voyage en Tunisie pour visiter Carthage. Sept ans plus tard, en 1869, paraît L’Éducation sentimentale, qui est peu admirée. Le roman le plus apprécié devient alors Trois Contes, publié en 1877. Gustave Flaubert devient dès lors l’un des stylistes les plus célèbres de la littérature française. Toutefois, sa santé empire, ce qui conduit à son décès en 1880 à Croisset, en raison d’une hémorragie cérébrale.

2) Madame Bovary

Critique et importance de l’œuvre

Dès sa parution, le roman se fait attaquer et critiquer pour immoralité et obscénité. Gustave Flaubert est accusé pour outrage aux bonnes mœurs, peu de temps après que le roman apparaît en librairie. On le critique pour son réalisme vulgaire et souvent choquant. C’est entre autres la raison pour laquelle Flaubert doit se justifier devant un tribunal, en raison de son style réaliste et sincère et de la banalisation de l’adultère ou du suicide de Madame Bovary. Son œuvre fait ainsi scandale à son époque, où ces thèmes impertinents ne font pas partie des discussions quotidiennes. La signification de Flaubert et de son roman le plus célèbre Madame Bovary se manifeste d’une part à travers le syndrome de Madame Bovary, aussi nommé le bovarysme, qui représente la recherche de l’amour idéal. D’autre part, trois adaptations cinématographiques sont réalisées en 1949, 1991 et 2014, présentant ce roman au grand public. Cela montre que même de nos jours, le thème demeure pertinent et que ce roman reste un classique.

Références bibliographiques:

Alpha ARD Bildungskanal (2016): „Gustave Flaubert– ‚Madame Bovary‘“ <https://www.br.de/fernsehen/ard-alpha/sendungen/klassiker-der- weltlitera-tur/gustave-flaubert-madame-bovary-roman100.html> [accès 01/02/2021].

3) Test de connaissance

Testez vos connaissances:

[h5p id="155"]

La Littérature postmoderne

par Jule S., Sarah S. et Eva W.

Le postmodernisme est un courant culturel-historique. On décrit ainsi l’époque postérieure aux années soixante/soixante-dix, mais il est assez difficile de définir une durée particulière. Une des particularités du postmodernisme est le pluralisme des thèmes et motifs. Les auteurs et artistes choisissent leur propre style et leur manière unique de s’exprimer, ce qui crée une multitude de mouvements et points de vue artistiques et littéraires. Souvent, on ne crée rien de nouveau, mais on joue avec les traditions littéraires. Les textes sont pleins d’intertextualité et les auteurs expérimentent avec la structure, le rythme et le mode de narration. Ces phénomènes se retrouvent partout dans les textes de Yasmina Reza, c’est à cause de cela qu’elle est un bon exemple d’écrivaine postmoderniste.

Annie Ernaux

par Anna M. et Klara W.

  1. 1) Biographie
  2. 2) La littérature d’Annie Ernaux
  3. 3) Briser les tabous
  4. 4) Les Années
  5. 5) Analyse: Les Années
  6. 6) Test de connaissance
  7. 7) Exercices d’analyse

1) Biographie

Née le 01.09.1940 à Lillebonne, Annie Ernaux passe son enfance et sa jeunesse à Yvetot en Normandie. Ses parents étaient ouvriers. À Yvetot, ils possédaient un petit café – épicerie, donc la jeune fille a grandi dans un milieu social modeste. Aujourd’hui, Ernaux n’est pas qu’écrivaine, mais aussi professeur de lettres. Sa carrière littéraire a commencé avec la publication de son premier roman, intitulé Les armoires vides en 1974. Tous ses romans ont un caractère autobiographique (voir aussi l’auto-socio-biographie). Dans son 5e livre, dans lequel elle retrace la vie de sa mère à l’aide de ses propres souvenirs, Ernaux écrit que ce livre « n’est pas une biographie, [mais] quelque chose entre la littérature, la sociologie et l’histoire » [1]. Dans les œuvres qui suivent, elle garde le cap de ce discours complexe et occupe ainsi sa propre niche dans la littérature française

image 1: Annie Ernaux, photo: Olivier Roller – https://olivierroller.com

2) La littérature d’Annie Ernaux

« J’ai tendance à mesurer la littérature à son degré de dérangement.» [2] – C’est une citation de l’écrivain Annie Ernaux qui révèle son attitude à l’égard de la littérature en général, mais aussi les motifs de son propre travail comme autrice. Au cours des années, Ernaux est devenu un per-sonnage important de la littérature française. Ses œuvres traitent des problèmes réels d’une femme qui est née et qui a grandi en France. Dans ses récits, elle écrit à propos de ses propres expériences en intégrant également l’environnement social qui l’entoure. Les évènements racontés sont personnels et émouvants et en même temps impersonnels et universels. Dans son propre style d’écriture, l’autrice crée un miroir de la société française. Dans ce document, nous donnerons quelques informations biographiques/générales sur l’écrivain. En outre, nous nous pencherons plus en détails sur le contenu et la réception de son œuvre Les Années qui a été pu-bliée en 2008.

3) Briser les tabous

Briser les tabous, c’est une autre caractéristique de l’œuvre de l’autrice. Dans ses livres, Annie Ernaux s’adresse également à certains d’entre eux comme : la mort et les maladies, l’évanescence, la découverte de la sexualité, la honte sociale, la honte liée à la sexualité, celle liée à l’avortement. Les œuvres qu’Ernaux a rédigées avant 2008 peuvent être considérées comme le socle littéraire de Les Années, car le livre reprend des sujets déjà abordés. En même temps, selon l’écrivaine ce récit était nécessaire pour qu’elle puisse écrire sa dernière publication, intitulée Mémoire de fille (2016). L’œuvre, publiée peu avant la formation du mouvement #Me-too, traite d’un autre sujet tabouisé. Dans le récit, Ernaux révèle son premier rapport sexuel avec un homme et évoque la brutalité qui a accompagné cet acte. L’évènement a eu lieu en 1958 et il a fallu plus de 50 ans avant que l’autrice puisse écrire à propos de cette rencontre blessante. Les thèmes centraux dans ce récit sont la honte sociale et la honte de la jeune femme. Dans ses œuvres précédentes (aussi dans Les années), elle a parfois mentionné « la fille de 58 ». Mais c’est en 2016 qu’elle a réussi à faire face à cette rencontre blessante et aux conséquences psychologiques que l’incident a eues sur elle. Parce qu’elle brise les tabous et par sa réflexion objective sur son « ancien moi » et son environnement social, la « transformation du concept de normalité » devient évident. C’est également l’un des objectifs de l’autrice : l’analyse critique. Dans l’épigraphe de Les Années, elle cite l’écrivain russe Anton Tchekhov : « et c’est curieux, nous ne pouvons savoir aujourd’hui ce qui sera un jour considéré comme grand et important, ou médiocre et ridicule ».[3] Dans son livre, elle décrit l’évolution de la moralité française au cours des 60 dernières années.

Références bibliographiques:

  1. Ernaux,A.: Une femme. Paris: Gallimard 1988. p. 106.
  2.  Garcin, Jérôme: Dictionnaire des écrivains contemporains de langue française: Par eux-mêmes. Paris : Mille et une nuits 2004. p. 162.
  3.  Ernaux, A.: Les années. Paris. Gallimard, 2008.

4) Les Années

En 2008, Les Années a été publié aux éditions Gallimard. L’œuvre lie le témoignage d’une femme, née dans les années 1940 en France, au portrait de la société française pendant plus de 60 ans. Ernaux mêle ses souvenirs personnels, depuis son enfance jusqu’ au 21e siècle, avec la mémoire collective. L’œuvre aborde de nombreux domaines de la vie et des sujets différents. Quelques récits traitent de la situation politique, par exemple de la crise algérienne, de la France sous François Mitterrand, des conséquences de la mondialisation, de l’émancipation des femmes. D’autres se penchent sur sa carrière universitaire, son mariage précoce, son divorce, son enfance dans l’après-guerre, les maladies et les pertes, la découverte de la sexualité et son propre vieillissement. Dans ce récit, Ernaux propose des descriptions de ses photographies personnelles. Celles-ci servent en quelque sorte de bornes et de fil rouge qui mènent les lecteurs à travers le livre. Avec Les Années, Ernaux a créé un miroir de l’évolution de la société française vue par le prisme d’une femme.

C’est pour les femmes que les choses ont le plus changé

Même si, dans Les Années, l’écrivaine utilise souvent une voix narrative collective (en utilisant les pronoms « on » et « nous ») générant ainsi un témoignage plus universel, il est évident que le personnage principal dans l’œuvre est une femme. Quand l’autrice parle d’ « elle », c’est l’ „ancien moi“ de l’écrivaine, dont elle parle à la troisième personne. Comme Ernaux le dit dans un entretien avec Suhrkamp,[1] c’est pour les femmes que les choses ont le plus changé au cours des cinquante dernières années. Il est évident que l’écrivaine a été témoin d’une vague importante du féminisme. Avec Simone de Beauvoir et son essai marquant Le Deuxième sexe (1949), la pensée féministe s’est renouvelée. Au cours des années 1960, des mouvements importants se sont formés (comme le Mouvement de la libération des femmes (MLF)) qui ont lutté pour leurs droits. L’émancipation des femmes battait alors son plein. Dans son récit, Ernaux écrit à propos de la déconstruction des modèles de rôles sexospécifiques, comme par exemple le fait qu’être mère n’est plus au centre des tâches féminines. Un autre thème, c’est l’émancipation sexuelle ainsi que les nouvelles possibilités et libertés pour les femmes grâce à la pilule. Dans Les années, Ernaux mentionne également un évènement marquant des années 70 : « le manifeste de 343 »[2] qui a marqué la lutte pour le droit d’avorter. L’autrice résume l’esprit de cette époque avec les mots suivants : « un sentiment de femme était en train de disparaître, celui d’une infériorité naturelle ».[3] L’historiographie, qui est principalement occupée par les hommes à cette époque, est un autre domaine en train de changer. En écrivant l’Histoire de l’évolution de la société française avec la perspective d’une femme, Annie Ernaux fait partie intégrante de ce changement marquant.

Adaptations

Le temps narré dans l’œuvre s’étend sur plus de 60 ans. En raison de sa complexité, il n’est pas facile de l’adapter. Néanmoins, en Autriche, la première d’une production théâtrale se fondant sur le livre a eu lieu en mars 2020. Malheureusement, la pièce n’a pas pu être jouée souvent en raison de la fermeture des espaces culturels pendant la crise du coronavirus. Néanmoins, il y a déjà quelques aperçus de la pièce et de sa réception. Il reste à savoir quelle sera l’influence future de l’œuvre sur les scènes de théâtre ou même sur les écrans de cinéma. Pour aborder l’œuvre autrement, il y a aussi des livres audio. Pour la version française, on peut trouver un feuilleton d’une pièce radiophonique en 10 épisodes sur le site de la station de radio « France-Culture » : c’est une adaptation par Sophie Lemp, dans laquelle la lecture du récit est accompagnée musicalement. La version radiophonique du livre est disponible gratuitement et peut être consultée sur la site de France Culture: https://www.franceculture.fr/emissions/series/les-annees-de-annie-ernaux.

Références biliographiques:

  1.  https://www.suhrkamp.de/mediathek/annie_ernaux_spricht_ueber_die_jahre_1353.html
  2.  Rédaction Ina: https://www.ina.fr/contenus-editoriaux/articles-editoriaux/5-avril-1971-le-manifeste-des-343.
  3.  Ernaux, A.: Les Années. Paris: Gallimard 2008. p.116.

5) Analyse: Les Années

Extrait d’analyse:

Les hontes d'hier n'avaient plus cours. La culpabilité était moquée, nous sommes tous des judéo-chrétiens, la misère sexuelle dénoncée, peine-à-jouir l'insulte capitale. La revue Parents enseignants aux femmes frigides à se stimuler jambes écartées devant un miroir. Dans un tract distribué dans les lycées, le Dr Carpentier invitait les élèves à se masturber pour tromper l'ennui des cours. Les caresses entre adultes et enfants étaient innocentées. Tout ce qui avait été interdit, péché innommable, était conseillé. On s'habituait à voir des sexes à l'écran mais on bloquait sa respiration de peur de laisser échapper son émotion quand Marlon Brando sodomisait Maria Schneider. Pour se perfectionner, on achetait le petit livre rouge, suédois, avec des photos montrant toutes les positions possibles, on allait voir Techniques de l'amour physique. On envisageait de faire l'amour à trois. Mais on avait beau faire, on ne se résolvait pas à ce qui était hier considéré comme un outrage à la pudeur, se montrer nus devant ses enfants. Le discours du plaisir gagnait tout. Il fallait jouir en lisant, écrivant, prenant son bain, déféquant. C'était la finalité des activités humaines. On se retournait sur son histoire de femme. On s'apercevait qu'on n'avait pas eu notre compte de liberté sexuelle, créatrice, de tout ce qui existe pour les hommes. Le suicide de Gabrielle Russier nous avait bouleversées comme celui d'une sœur inconnue, et nous nous étions indignées de la roublardise de Pompidou citant un vers d'Éluard que personne ne comprenait pour éviter de dire ce qu'il pensait de l'affaire. La rumeur du MLF venait à la province. Le torchon brûle se trouvait au kiosque, on lisait La Femme eunuque de Germaine Greer, La Politique du mâle de Kate Millett, La Création étouffée de Suzanne Horer et Jeanne Socquet avec le sentiment d'exaltation et d'impuissance que procure la découverte d'une vérité pour soi dans un livre. Réveillées de la torpeur conjugale, assises par terre sous le poster Une femme sans homme c'est un poisson sans bicyclette, on reparcourait nos vies, on se sentait capables de quitter mari et enfants, de se délier de tout et d'écrire des choses crues. De retour à la maison, la détermination refroidissait, la culpabilité sourdait. On ne voyait plus comment on pourrait s'y prendre pour se libérer - ni pourquoi. On se persuadait que son homme à soi n'était pas un phallocrate ni un macho. Et l'on hésitait entre les discours - ceux qui prônaient l'égalité des droits entre hommes et femmes, et s'attaquaient à « la loi des pères », ceux qui préféraient valoriser tout ce qui était féminin, les règles, l'allaitement et la préparation de la soupe aux poireaux. Mais pour la première fois, on se représentait sa vie comme une marche vers la liberté, ça changeait beaucoup. Un sentiment de femme était en train de disparaître, celui d'une infériorité naturelle.[1]

Analyse:

L’extrait de texte que nous avons choisi est représentatif de l’œuvre, car il contient beaucoup d’aspects qui sont typiques des livres d’Annie Ernaux. Dans ce court extrait, l’écrivaine aborde le sujet tabou du développement sexuel, décrit l’influence des médias et donne aux lecteurs un aperçu de la mémoire collective. Elle décrit un changement de norme et fait référence à la sexualité et à l’émancipation des femmes.

Dans cette analyse, nous nous pencherons d’abord sur la relation entre l’individu et la société. Puis sur la représentation de la mémoire collective. Notre objectif est de découvrir ce qui peut être provoqué par la représentation narrative de la mémoire collective et ce que ces récits signifient pour le présent.

La société et ses facteurs inhérents – culture, religion et moralité – ont une influence significative sur l’individu. D’après certains scientifiques, comme par exemple Klaus Müller, chaque être humain naît avec le même potentiel de conscience et n’est formé que par des influences extérieures.[2] L’environnement implique également les influences des médias. Dans Les années, l’auteur dépeint de différentes manières l’influence des médias sur la perception de la société. Dans cet extrait, Ernaux mentionne, par exemple, divers titres de magazines qui ont publié des articles sur la sexualité, et qui ont été lus par de nombreuses personnes. Le récit est entrecoupé de références intertextuelles aux médias qui sont largement connues en France et ces références renforcent la crédibilité du rapport. De plus, elles permettent à l’écrivaine d’établir un lien plus étroit avec le lectorat français, qui connaît bien ces magazines, films, chansons et autres médias mentionnés. En outre, Ernaux décrit une affiche avec l’inscription « Une femme sans homme c’est un poisson sans bicyclette ».[3] Ce slogan est une sorte de métaphore pour l’émancipation des femmes et pour la libération de leurs rôles prescrits de bonnes épouses et de mères aimantes. Comme nous l’avons déjà mentionné dans notre Wiki précédent, c’est pour les femmes que les choses ont le plus changé au cours des cinquante dernières années. L’émancipation des femmes est également importante dans cet extrait. Il s’agit d’une part de l’émancipation sexuelle et d’autre part du détachement par rapport à certains modèles et de certaines idées. De nouvelles possibilités s’ouvraient alors.

Chaque individu est ainsi façonné par son environnement et agit généralement selon la norme de la société qui l’entoure. Le concept de normalité de l’individu s’adapte à celui du collectif. Cela apparaît clairement dans l’extrait de texte, puisque Ernaux parle en termes généraux de « on » et « nous » et évite d’écrire « je ».[4] Dans l’extrait de texte, il y a une énumération de phrases indiquant des actions et des informations sur le comportement de la société française à l’imparfait:

Pour se perfectionner, on achetait le petit livre rouge, suédois, avec des photos montrant toutes les positions possibles, on allait voir Techniques de l’amour physique. On envisageait de faire l’amour à trois.[5]

Ces descriptions représentent une sorte d’observation objective de l’extérieur. La juxtaposition de différents aspects qui ont été importants pour le changement des normes dans la société française donne l’impression que les changements pendant cette période étaient considérés comme banals. Le choix de l’imparfait renforce cette banalité et peut être considéré comme un signe narratif de l’effervescence des années évoquées. Les actions sont présentées comme faisant partie de la routine quotidienne. Cela nous amène au deuxième point central de cette analyse : la mémoire collective. L’une des hypothèses de base de la recherche sur la mémoire des sciences culturelles est que les groupes et les sociétés conçoivent des versions d’un passé commun, les diffusent à travers la communication quotidienne et médiatique afin de stabiliser les identités collectives et de s’entendre sur des valeurs et des normes partagées.[6]

La plupart des documents historiques et socioculturels connus ont été réalisés par des hommes. Avec son œuvre Les Années, Ernaux nous donne un point de vue féminin sur le développement social de la France. Cependant, elle ne se met pas au premier plan, mais se considère comme partie de la société. Dans le premier paragraphe, l’autrice écrit sur les changements de la société en général et résume la libération sexuelle avec les mots « Le discours du plaisir gagnait tout ». Le deuxième paragraphe commence par les mots « On se retournait sur son histoire de femme. ». Dans ce qui suive, elle traite des effets de ces années pour les femmes qui, à cette époque « se représentai[en]t s[es] vie[s] comme une marche vers la liberté ». Ce qui est inhérente à cette déclaration est également la déconstruction de certains modèles du genre. La reproduction de la mémoire collective peut légitimer et délégitimer les relations de genre encore existantes. Avec Les Années, Annie Ernaux peut conduire à un élargissement du canon dans les études littéraires, mais aussi élargir certainement l’image de la performance et de la pertinence sociale des autrices.[7]

Références bibliographiques:

  1. Ernaux, Annie : Les Années. Paris : Gallimard, 2008, pp. 114-116.
  2.  Müller, Klaus W.: Das Gewissen in Kultur und Religion: Scham- und Schuldorientierung als empirisches Phänomen des Über-Ich / Ich-Ideal. Nürnberg : VTR, 2010, p. 174.
  3.  Ernaux (2008): p. 115.
  4.  Ernaux (2008): p. 114-116.
  5.  Ernaux (2008): p. 114.
  6.  Erll, Astrid et Seibel, Claudia: Gattungen, Formtraditionen und kulturelles Gedächtnis. Dans: Nünning, Vera et Nünning, Ansgar: Erzähltextanalyse und Gender Studies. Stuttgart: Metzler 2004, p 185.
  7.  Erll et Seibel (2004): p. 185.

6) Test de connaissance

Testez vos connaissances:

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7) Exercices d’analyse

L’objectif des tâches suivantes est de vous donner la possibilité de travailler directement avec un texte importante de la littérature française. Les sections suivantes „L’auto-socio-biographie“ et „La consommation“ font référence à des sujets importants du livre Les Années, que nous vous avons déjà brièvement présenté dans ce Wiki. Dans les rubriques, vous trouverez diverses tâches sur lesquelles vous pouvez travailler. Le matériel précédent (Le Wiki et l’analyse littéraire) peut vous aider avec les exercices.


Exercice no. 1: L’auto-socio-biographie

un exercice par Klara W.

💡 Dans une analyse littéraire, l’accent peut être mis sur l’étude des aspects socioculturels et historiques. Comme cela a déjà été présenté dans le Wiki, Annie Ernaux reflète dans son autobiographie collective l’image sociale des dernières décennies. Elle complète la mémoire collective avec ses propres expériences, mémoires et pensées. Ernaux écrit à propos de ses expériences de la sexualité, du corps, des relations interpersonnelles, des différences sociales, de l’éducation et d’autres souvenirs. Les expériences décrit par l’écrivaine, prennent une dimension collective et sociologiques dans son œuvre.

Le passage de texte sélectionné fait référence à la technique d’écriture d’Ernaux. L’autrice écrit à la troisième personne sur les événements passés qu’elle a vécus. Dans l’extrait de texte, Ernaux se souvient de la fille qu’elle voit sur la photo. C’est une vieille photo d’elle-même. Elle la décrit et ajoute l’information que cet été-là, elle a eu son premier rapport sexuel avec un homme. Puis, les effets que cette rencontre a eu sur son corps sont décrits. Ensuite, tout est mis en relation avec son comportement et celui des autres dans l’environnement social.

Lisez les pages 78-80 puis, travaillez sur les exercices d’écriture 1 et 2.

💡 *rappelle : l’auto-socio-biographie est un genre moderne. Il mélange l’autobiographie classique d’un écrivain avec l’environnement social et culturel qui l’entoure. La mémoire personnelle est ainsi accompagnée par des aspects de la mémoire collective.

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Exercice no. 2: La consommation

un exercice par Anna M.

💡 La consommation de la société joue également un rôle dans le livre Les Années. Le passage de texte sélectionné fait référence aux changement de comportement des consommateurs au sein de la société. L’autrice écrit à la troisième personne sur les évènements passés. Dans l’extrait de texte, Ernaux énumère de nombreux objets et choses achetés à l’époque, ce qui était à la mode, ce que tout le monde devait acheter. 

Avant de lire l’extrait de Les années (pp. 121-122), répondez à la question suivante :

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Lisez les pages 121 – 122, puis travaillez sur les trois exercices:

[h5p id="200"]

L’auto-socio-biographie

par Anna M. et Klara W.

Invention d’un nouveau genre

Le genre littéraire de l'“auto-socio-biographie“ a été créé par Annie Ernaux. En mentionnant ses propres souvenirs et expériences, mais aussi les aspects culturels, sociaux et la si-tuation politique, Ernaux a inventé un nouveau genre littéraire. Bien que l’autrice parle de ses propres expériences, elle garde une perspective qui est objective et sans jugement. A cet effet, , elle recourt à/emploie une écriture factuelle, donc sans trop de futilités. En outre, l’œuvre reflète en permanence la mémoire, les sentiments et la mentalité collective qui ont régné pendant la période d’évolution de la société française narrée. Dans les dernières pages du livre, Ernaux explique l’un des objectifs de son ouvrage : « en retrouvant la mémoire de la mémoire collective dans une mémoire individuelle, [elle] [rend] la dimension vécue de l’Histoire ».[1]

L’œuvre Les Années est moderne à divers égards et n’aurait pas pu être publiée avant le XXe siècle. En effet, l’inclusion des médias occupe un rôle important dans le récit. Comme cela a déjà été signalé , Ernaux propose des descriptions de ses photographies personnelles et les met en relation avec ses souvenirs. En outre, elle fait référence à d’autres formes de médias dans le cadre de sa narration, comme des articles de presse, des chansons, des émissions de radio, des films, ainsi que des publicités télévisées. La prise en compte des divers médias, permet aux lecteurs d’obtenir une vision plus précise des années passées et sert en même temps de justification des faits décrits par l’écrivaine.

Références bibliographiques:

  1. Ernaux, A.: Les Années. Paris: Gallimard 2008. p.251