La chanson de la semaine : « Évidemment » de La Zarra

La chanson de la semaine : « Évidemment » de La Zarra

L’artiste qui représentera la France lors de l’Eurovision 2023, s’appelle La Zarra et est une auteure-compositrice-interprète canadienne. À l’occasion du concours, les responsables de chaque pays peuvent choisir un artiste ou un groupe pour le représenter, indépendamment du professionnalisme ou de la nationalité des candidats. Il est ainsi possible qu’une canadienne chante pour la France. Sur le site du concours, elle est décrite comme une « intemporelle reine du disco parisienne ».

Dans sa chanson « Évidemment », écrite pour le concours, un style moderne pop et des éléments de chanson française traditionnelle se mélangent. Dans la vidéo, qui montre sa première apparation devant un grand publique, on voit la chanteuse habillée de manière élégante et classique :  vêtue d’une longue robe noire scintillante et d’une barrette tout en noir brillante. Grâce à sa gestuelle et à la prononciation précise des paroles de la chanson, la performance met en avant l’importance des paroles. On peut dire que le texte parle de doute de soi. La personne semble chercher l’amour, mais ne parvient pas à le trouver. Elle a l’impression de se perdre et de perdre le contrôle. Ces doutes font évoluer son caractère et « elle ne sera plus jamais la même, cette fille d’avant ».

À la fin de la chanson, une question se pose : « Ai-je réussi à chanter, à chanter la Grande France ? ». Cette partie est intéressante car elle aborde la question que se posent certainement quelques personnes : pourquoi une canadienne représente-t-elle la France ?, et implique l’autoréflexion de la chanteuse sur sa capacité à répondre aux exigences que les fans du concours lui adressent.

 

 

 

Paroles

Mon cœur, mes mains, mes yeux, mes reins
Plus rien ne m’appartient
J’me fais du mal pour faire du bien
J’oublie comme si c’n’était rien

Dans mon jardin d’enfer pousse des fleurs
Que j’arrose de mes rêves, de mes pleurs
On a beau être sur le toit du monde
On ne peut toucher le ciel du doigt

Évidemment
Toutes ces belles promesses que j’entends
C’n’est que du vent
Évidemment
Car après l’beau temps vient la pluie
C’est c’qu’on oublie

C’est toujours trop beau pour être vrai
Mais c’n’est jamais trop laid pour être faux
Évidemment
Elle ne sera plus jamais la même
Cette fille d’avant

Je vends demain, j’rachète hier
Le temps est assassin
Je cherche l’amour, je n’trouve rien
Comme dans mon sac à main

Dans ma tête c’est pas tant évident
Je cherche la vérité, tout en l’évitant
On a beau être sur le toit du monde
On ne peut toucher le ciel du doigt

Évidemment
Toutes ces belles promesses que j’entends
C’n’est que du vent
Évidemment
Elle ne sera plus jamais la même
Cette fille d’avant

Car moi je chante
Ma vie la vôtre et un peu de romance
Je suis nue devant vous
Donnez-moi donc une chance
De vous à moi, de moi à vous
Ai-je réussi à chanter, à chanter la Grande France?

C’est toujours trop beau pour être vrai mais
C’n’est jamais trop laid pour être faux
Évidemment
Elle ne sera plus jamais la même
Cette fille d’avant
Évidemment

Paroles

La chanson de la semaine « Tristesse » de Zaho de Sagazan

La chanson de la semaine « Tristesse » de Zaho de Sagazan

Aujourd’hui, dans notre série de la chanson de la semaine, nous vous présentons une artiste toute récente. Avec seulement quatre chansons publiées jusqu’à présent, Zaho de Sagazan s’est fait un nom sur la scène des nouveaux talents francophones. On sait encore peu de choses sur cette jeune belge de 22 ans. Elle a fait l’une de ses apparitions les plus importantes en première partie du groupe de musique français Mansfield.TYA en 2022. Dans les chansons qu’elle a publiées jusqu’à présent, on entend d’une part des éléments de la chanson française, et d’autre part des sons électroniques, aussi prédominants dans son dernier titre « Tristesse ». Les paroles et le clip se complètent réciproquement. Il s’agit d’une rencontre avec la tristesse. La personne dans la vidéo, la chanteuse elle-même, contrôle d’abord la tristesse, elle se persuade qu’elle peut diriger ses sentiments comme une marionnettiste. Au fil de la chanson, elle se rend compte qu’elle a tort, que la tristesse est  peut-être toujours avec elle d’une manière ou d’une autre et qu’elle ne peut pas en avoir le contrôle absolu. Les paroles de la chanson sont poétiques et profondes. Dans des interviews, la chanteuse dit qu’en écrivant des chansons, elle comprend toujours un peu plus de choses sur elle-même en tant que personne.

Le 31 mars, la musicienne sortira son premier album, nous vous tiendrons au courant !



Paroles

Qui va là, Tristesse
Vous ne m’aurez pas ce soir
J’ai enfin trouvé la sagesse
Et désormais les pleins pouvoirs
Quelle audace de me faire croire
Que je ne suis qu’un pauvre pantin
Manipulé par vos mains
Dégueulasses de désespoir

Marionnettiste je suis
Et sûrement pas l’inverse
Les émotions sont des couleurs
Je suis le peintre qui les renverse
Et sûrement pas l’inverse

x2

Qui va là ? Qui va là ? Qui va là ?
Ça c’est pas moi
Qui va là ? Qui va là ? Qui va là ?
Tristesse, dégage de là

Marionnettiste je suis
Et sûrement pas l’inverse
Contrôle total des sentiments
La tristesse me déteste
Marionnettiste je suis
Et sûrement pas l’inverse
À part mes pulsions d’création
Je contrôle tout le reste

Je contrôle, je contrôle
je contrôle tout le reste
Je contrôle, je contrôle
je contrôle tout le reste

Pour tout vous dire… Il arrive des fois qu’elle arrive et que… J’ai beau tout faire, tout dire, pour la faire partir, elle reste là.
Et en fin de compte je me demande même si elle serait pas là un peu tout le temps…
Tristesse est là et…
Tristesse…

Marionnette on naît et on le reste
Marionnette on est et on déteste
Marionnette on naît et on le reste
Marionnette on est
Ah je déteste
Je déteste
Je te déteste

Littérature libanaise : Les romans graphiques de Zeina Abirached

Littérature libanaise : Les romans graphiques de Zeina Abirached

Zeina Abirached, dessinatrice et écrivaine vivant à Paris, est née à Beyrouth en 1981 – au coeur de la guerre civile libanaise. Elle a fait ses études à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts de Beyrouth et à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Elle a toujours eu une prédilection pour le dessin et son enfance pendant la guerre l’a toujours préoccupée, mais elle n’a pas choisi de répondre directement aux attentes extérieures liées à une telle biographie.

Zeina Abirached est entrée dans le monde du BD au début des années 2000 avec ses premiers romans graphiques intitulés 38, rue Youssef Semaani (2006), [Beyrouth] Catharsis (2006) et Je me souviens, Beyrouth (2008), dans lesquels elle raconte ses souvenirs d’enfance pendant la guerre. A première vue, son oeuvre semble donc prévisible. Mais en lisant ses romans supposément de guerre, la question imminente que chacun.e se pose est : il est où, le sang ? Elle est où, la misère que lègue une guerre ? Elles sont où, les images effroyables de gens blessés ? Tous ces stéréotypes des guerres ne constituent pas les aspects déterminants des histoires racontées par Zeina Abirached. Au contraire, l’autrice dépeint la réalité d’une vie pendant la guerre telle qu’elle l’a vécue à ce moment-là : comme enfant.

La violence de la guerre est illustrée très subtilement, par exemple par des bruits de coups de feu qu’elle entend en jouant dans sa petite rue ou par les chemins secrets traversant la ville. Dans son ouvrage Mourir, partir, revenir – Le jeu des hirondelles (2007), sélectionné au festival d’Angoulême en 2008, l’artiste explique l’impact que le partitionnement en Beyrouth Est et Beyrouth Ouest a eu sur les citoyen.nes en racontant de petites histoires au lieu de la grande Histoire. En illustrant la vie quotidienne de sa famille, de ses voisin.es et de ses ami.es depuis sa perspective enfantine, Zeina Abirached réussit à évoquer d’une manière très émouvante les angoisses et les tracas des personnages déclenchés par les bombardements et d’autres situations de danger. Elle n’essaie pas du tout d’embellir le horreurs de la guerre civile, mais la douceur de l’enfance qui accompagne tous ses récits transmet une réalité à laquelle chacun.e peut s’identifier et qui nous apporte une proximité exceptionnelle avec le monde affectif des personnages marqués par les trauma de la guerre.

À l’aide de son art, l’artiste intégre ses mémoires de guerre et de sa vie d’après. Le bilinguisme et la coexistence du français et de l’arabe dans sa vie jouent des rôles très importants dans ses oeuvres. Le roman Piano oriental (2015) raconte l’histoire de son ancêtre qui inventa un piano oriental – un piano „bilingue“ – à Beyrouth pendant les années 1960. Cette histoire achronique qui prend place dans le cadre de l’histoire de son départ du Liban et de ses premières expériences en France met en valeur le principe de la transculturalité et le fait qu’il est impossible de décider quelle langue, quel pays ou quelle identité culturelle domine ou est plus important que l’autre. Son regard innocent nous fait comprendre le chaos qui vivent les personnes transculturelles, pour qui les frontières entre les différenets identités culturelles sont floues et chez qui deux langues fonctionnent comme une.

Dans son récit le plus récent, co-écrit avec Mathias Énard, Prendre refuge (2018), Zeina Abirached entremêle de nouveau deux histoires différentes, deux histoires d’amour transculturelles atypiques se déroulant à deux époques très complexes : en 1939 en Afghanistan et en 2016 en Allemagne. Zeina Abirached continue d’intégrer ses souvenirs d’enfance et ses expériences comme témoin d’une guerre affreuse et comme femme transculturelle en Europe. De nos jours, le travail d’assimilation de nos identités mises en réseau par le monde digital et la mondialisation est très important pour trouver et définir le chemin d’une nouvelle „normalité“.

« Retour à Reims » de Didier Éribon

Après la mort de son père, Didier Eribon décide de se replonger dans son passé à Reims pour comprendre les dynamiques sociales et familiales d’une communauté ouvrière. Pendant toute sa vie, il a ressenti une honte profonde contre sa ville natale et le milieu social dont il vient. En mêlant ses expériences personnelles avec des réflexions sociologiques sur les classes sociales, la construction des identités, le système scolaire et la sexualité, il essaie de comprendre cette honte. Dans cet article, je voudrais donner un petit aperçu des événements et analyses qui ont structuré sa subjectivité entière.

Dans son oeuvre autobiographique, Didier Eribon déclare simplement qu’il déteste son père. Ce père détesté symbolise « une sorte de modèle social négatif, un contre repère dans le travail que j’avais accompli, pour le créer moi-même ». Quand Eribon se réfère au « modèle social négatif », il entend sa classe originaire, celle des ouvrier.e.s. Selon lui, l’habitus de cette classe est marqué par la violence, l’homophobie, le racisme. Ce qui rend le texte d’Eribon intéressant, c’est qu’il ne juge pas les personnes de son passé, même s’il les détestait pendant son enfance et sa jeunesse. Par contre, il veut comprendre et expliquer la raison pour laquelle les gens adoptent certains points de vue. Donc, un des thèmes les plus importants dans la narration est celui de la formation des identités. Selon Eribon, tous les sujets sont les produits des dynamiques et conditions sociales, comme la classe sociale.

L’auteur du livre- Didier Éribon.

Description de sa famille

Eribon consacre une grande partie de son texte narratif à la présentation de sa famille. Son père, un ouvrier qui réussit à travailler comme contremaître, est caractérisé par son hyper masculinité. Sa mère, elle, n’avait pas pu réaliser son rêve de devenir enseignante parce qu’elle aussi était obligée de travailler à l’usine. Eribon s’intéresse aussi à leur vote pendant les élections. Il se souvient que ses parents et toutes les autres personnes de la classe ouvrière donnaient leur suffrage au parti communiste après la Seconde Guerre mondiale, mais que maintenant, la majorité vote pour l’extreme droite – le Front (ou Rassemblement) National. Autrefois, ils sentaient une attache profonde à leur classe ouvrière et voyaient ce lien représenté par les communistes. Didier Eribon explique la raison de ce changement profond du comportement électoral. Selon lui, les partis de gauche ne parlent plus la langue des personnes qui sont négligées, méprisées ou précarisées par la société. Par contre, ils ont adapté la langue des classes dominantes, une langue que les ouvriers et ouvrières ne parlent pas. Et même plus : ils ne la comprennent pas.

La violence invisible

Les analyses et les observations d’Eribon se réfèrent surtout à la violence invisible. Cette forme de violence n’est pas ouverte ou directe. Elle est subtile. Elle nous suggère que la manière dont notre société est structurée est normale. Le racisme des institutions, la discrimination des femmes, les possibilités limitées des personnes des classes populaires : tous ces exemples sont les modalités de la violence invisible. Edouard Louis écrit dans ce contexte:

„Ce que ma mère pensait comme un choix, comme une petite caractéristique individuelle à peine intéressante à raconter, avait en fait un sens très profond : les femmes dans son cas, nées dans un milieu pauvre, dans un petit village loin de tout, étaient dans l’ensemble prédestinées à cette vie, à ne pas faire d’études, à avoir des enfants très jeunes, comme la mère de Didier Eribon. Tout à coup, après la lecture de Retour à Reims, une simple phrase de ma mère avait un sens vertigineux, presque infini, qui disait quelque chose sur le monde, sur les inégalités sociales, la reproduction, le destin – les destins collectifs“.

Eribon ainsi qu’Edouard Louis soulignent que l’idée d’avoir toutes les possibilités ouvertes dans sa propre vie est un narratif faux. Cette idéologie me´ritocratique qui suppose qu’on peut réussir tout en travaillant dur est un mensonge qu’on raconte aux pauvres pour qu’ils ne réalisent pas que leur situation est le résultat des forces sociales. Didier Eribon se réfère à Bourdieu en disant que le capital social, le capital culturel et le capital matériel déterminent tous le dévelopement de la vie d’une personne.

Opinion personnelle

Pour moi, la lecture de Retour à Reims a été une expérience très personnelle et intime. Bien qu’Eribon ait souffert de discriminations différentes comme la homophobie dans sa communauté, j’ai pensé beaucoup aux autres dimensions de marginalisation, comme celui du racisme ou l’arrogance de classes par exemple. De plus, j’ai réalisé que je comprends la société d’une mani`ère plus profonde maintenant. Au lieu de penser que tout succès dans la vie est le fruit de décisions et d’efforts individuels, je me place dans une perspective plus large : celles des dynamique sociales.

Et vous, avez-vous aussi lu un livre qui a changé votre perspective sur votre vie ou sur la société dans laquelle vous vivez ? Racontez-nous !

« Vernon Subutex » Trilogie de Virginie Despentes

« Vernon Subutex » Trilogie de Virginie Despentes

Virginie Despentes, née le 13.06.1969, est une des auteures actuelles les plus connues en France. Sa carrière a commencé déjà en 1994, mais son grand succès est particulièrement dû à sa nouvelle trilogie Vernon Subutex, dont le premier tome est paru en 2015. Qui est donc cette auteure et pourquoi ces œuvres sont-elles si intéressantes ?

Virginie Despentes entre dans l’histoire littéraire en 1994 avec son premier roman intitulé vulgairement Baise-moi, paru initialement chez Florent Massot. Le roman illustre l’histoire brutale des deux Parisiennes désinhibées qui se retrouvent après quelques années difficiles et partent ensemble dans un tour de la France pour se venger des hommes qui leur avaient fait mal dans le passé. Comme l’on peut prévoir, la fin n’est pas heureuse.

Vengeance, violence, sexualité explicite, rébellion, punk – tous ces termes décrivent le style de Virginie Despentes dans les années ’90. Elle écrit surtout des romans fictifs, mais beaucoup d’éléments narratifs sont inspirés par des séquences de sa propre vie difficile. En dépit de son début littéraire turbulent, elle garde un style d’écriture très dure, mais qui change sans cesse, en écho aux conditions sociales actuelles des femmes. Ses romans Les Chiennes Savantes (1996), Les Jolies Choses (1998), Teen Spirit (2002), Trois étoiles (2002 avec Nora Hamdi), Bye Bye Blondie (2004), Apocalypse Bébé (2010) et finalement la trilogie Vernon Subutex (2015; 2017) sont souvent vus comme dérangeants par un grand nombre de critiques littéraires, mais peu à peu, le groupe de ses lectrices et lecteurs s’agrandit et le monde littéraire de renom commence à reconnaître son travail. Les œuvres Les Jolies Choses, Apocalypse Bébé et Vernon Subutex reçoivent ainsi plusieurs prix. La question de savoir si cette notoriété qui augmente est due à un changement de style ou à l’acceptance plus grande du public envers un monde fictif dur et violent reste une discussion très intéressante.

Dans ses livres, on retrouve des évènements inspirés de la vie réelle de l’auteure. Un des évènements marquants de sa jeunesse est le viol qu’elle a subi à l’âge de 17 ans. À part ces romans fictifs et ses nouvelles, elle a écrit deux essais dont un, King Kong Théorie (2006), révèle le rapport entre sa vie tumultueuse et sa théorie féministe. Elle est vue comme féministe radicale, mais elle-même ne s’est pas classée dans aucun courant spécifique. Ce qui peut être défini avec certitude est son appartenance à la troisième vague féministe, entre autres grâce à sa position pro-prostitution (cf. Despentes, King Kong Théorie, p. 83). Elle explique dans cet essai entre autres son hypothèse, reprise d’autres théories féministes égalitaires comme celle de Christine Delphy, qu’il n’y a pas de véritables différences entre les deux sexes biologiques, les « différences » ne demeurant alors que des prescriptions sociales.

Dans la plupart de ses oeuvres, l’auteure écrit ses romans d’un point de vue féminin, ce qui souligne la particularité de la trilogie Vernon Subutex : le personnage principal est un homme. Vernon Subutex, un disquaire parisien couronné de succès dans les années 1980, mais ayant fait en faillite et étant resté seul au moment de l’histoire, vit des aventures décrites de façon typique pour l’auteure. Les évènements sont pleins de suspense, les descriptions du monde où il vit cruelles, et les personnages une critique radicale de la société contemporaine. Par conséquent, cette nouvelle trilogie marque le début d’une nouvelle ère, mais exprime aussi les convictions que le public connaît déjà chez Virginie Despentes.