Victor Hugo
1) Biographie
Victor Hugo est né le 26 février 1802 à Besançon. Il commence tôt à écrire des poèmes et à l’âge de quinze ans, il est déjà reconnu à l’Académie française. Cela étant, il continue à créer des pièces de théâtre et des romans et il devient donc un auteur renommé dans tous ces genres. Son premier grand succès est Notre-Dame de Paris, qu’il publie en 1831, et son élection à l’Académie française en 1841 démontre davantage encore son importance littéraire [1]. Aujourd’hui, il est souvent considéré comme un personnage central du romantisme en France.[2] En revanche, sa vie privée n’est pas épargnée par les drames. Il épouse sa femme Adèle en 1822 et le couple a cinq enfants. Il apprend pourtant qu’Adèle a une liaison avec l’un de ses amis, Hugo commet lui-même l’adultère plus tard et sa fille Léopoldine se noie par accident en 1843.[3]
Politique et littérature
Victor Hugo est royaliste pendant une grande partie de sa vie et il a notamment des liens directs avec Charles X, même si ce royalisme s’accompagne d’une adhésion au libéralisme.[4] Vers 1830, il commence à partager ses avis politiques à travers des poèmes et à s’engager en faveur de ses convictions. Par exemple, il est avocat de l’abolition de la peine de mort et il critique le fait qu’on a laissé passer l’opportunité d’achever cette réforme après la fin de la révolution. [5] Vers le milieu du 19e siècle, ses convictions politiques évoluent vers davantage de progressisme social et le coup d’État en 1851 l’obligent à s’exiler à Bruxelles puis dans les îles anglo-normandes. Il y écrit et publie une multitude d’œuvres comme Les Misérables, et même en exil, il reste engagé en faveur des opprimés. Après la chute du Second Empire, il revient en France où il continue de lutter pour l’amnistie des communards ainsi que pour la laïcité et il aide à éviter un autre coup d’État. Son importance littéraire et l’impact politique qu’il a eu sont soulignés après sa mort en 1885 quand il reçoit des funérailles nationales suivies par une foule immense.[6]
Références bibliographiques:
- cf. Hovasse, Jean-Marc: „À propos de l’auteur. » Gallica. Les essentiels. Littérature, Bibliothèque nationale de France, 2020, https://gallica.bnf.fr/essentiels/hugo/propos-auteur [Dernier accès : 16.05.2020].
- cf. p.e. Jacques, Georges; Roland, Hubert; Werner, Johannes: „Deutsch-französische Verflechtungen um die Romantik. Kulturtransfer und Missverständnis.“ Dans: Eine kleine deutsch-französische Literaturgeschichte. Vom 18. bis zum Beginn des 20. Jahrhunderts, Hubert Roland (Ed.). Tübingen : Narr Francke Attempto Verlag, 2016, p. 82.
- cf. Hovasse, Gallica 2020.
- cf. Corn, Alfred: „Hugo, Unparalleled and Representative.” The Hudson Review 51/3, 1998, p. 594.
- cf. Jacques/Roland/Werner 2016 : pp. 91-93.
- cf. Hovasse, Gallica 2020
2) Notre-Dame de Paris
Notre-Dame de Paris a paru en 1831 et fait donc partie du mouvement du romantisme français : c’est un roman historique de l’auteur Victor Hugo. L’œuvre traite et examine différents sujets, notamment la valeur de l’architecture gothique, mais aussi des aspects de l’humanité comme le rôle de la foule dans la société, la lutte contre la fatalité et l’altérité. Un des personnages centraux dans le cadre des analyses du traitement de l’altérité dans le roman est Esmeralda, qui est introduite comme une danseuse bohémienne, puis représentée soit comme objet de fascination pour les personnages masculins du roman, soit comme figure idéalisée. Le roman, qui a été mis à l’index par l’Église trois ans après sa publication,[1] aborde des thématiques variées et les critiques littéraires désignent souvent des personnages et sujets différents comme protagonistes ou sujets principaux. Au début du roman, le narrateur affirme cependant que l’histoire est basée sur le mot `ANÁΓKH. Le mot grec signifie destin ou fatalité, qui est donc identifié par le narrateur comme l’élément central du roman. En effet, les scénarios principaux peuvent être examinés sous cette prémisse, car elle relie les personnages. L’archidiacre Frollo ne peut pas résister à son attirance pour Esmeralda, ce qui le conduit à créer des intrigues qui sont directement responsables de la mort de celle-ci. En même temps, elle tombe amoureuse de Phoebus, mais lui aussi ne la convoite que pour sa beauté. Quasimodo est le seul personnage qui ressente un amour pur pour Esmeralda. À cause de sa laideur, elle se détourne cependant de lui et Quasimodo est seulement uni avec elle, quand il s’allonge à côté d’Esmeralda, pendue, et qu’il meurt lui-même, après avoir jeté Frollo de la tour de Notre-Dame. En raison des entrelacements et des conséquences des actions des personnages dans le roman, il est donc possible de constater que la fatalité est le moteur du développement des personnages et de l’action complexe du roman.
2.1 Adaptations
Il y a un grand nombre d’adaptations de Notre-Dame de Paris dans son intégralité et aussi de la thématique isolée d’Esmeralda. De plus, il est possible de trouver une multitude de textes qui peuvent être perçus comme des références intertextuelles puisque Notre-Dame de Paris s’inscrit dans une tradition de la représentation de la belle bohémienne et de sa vie exotique pendant le romantisme . Une adaptation intéressante est un livret que Victor Hugo a écrit lui-même et qui a été joué pour la première fois en 1836 en opéra. Cette pièce n’est pas seulement remarquable en raison de son succès au 19e siècle , mais aussi parce que dans cette version, Hugo transforme Esmeralda en vraie tsigane. Elle n’est donc plus une enfant volée et française d’origine comme dans le roman . L’adaptation la plus connue est probablement celle de Disney en 1996. Le film diffère pourtant considérablement du texte original au niveau de l’action générale et aussi au niveau des personnages. Parmi les aspects que le film a changés, il y a le fait que Quasimodo n’est pas sourd et de plus, Claude Frollo n’est pas archidiacre mais juge, Phoebus est quant à lui un personnage héroïque et aimable tandis que Pierre Gringoire ne fait plus partie de l’histoire. Ces observations permettent de montrer que le film est certainement inspiré de l’œuvre de Victor Hugo, mais qu’il ne peut presque pas être considéré comme une véritable adaptation.
Références biliographiques
- cf. Gasaglia-Laster, Danielle: „Les métamorphoses de Claude Frollo.“ Communication au groupe Hugo, 2001, pp. 1-6, http://groupugo.div.jussieu.fr/groupugo/01-05-19gasiglia-laster.htm [Dernier accès : 02.03.2020], p. 1.
3) Analyse: Esmeralda dans Notre-Dame de Paris
Extrait d’analyse:
Dans un vaste espace laissé libre entre la foule et le feu, une jeune fille dansait.Si cette jeune fille était un être humain, ou une fée, ou un ange, c’est ce que Gringoire, tout philosophe sceptique, tout poète ironique qu’il était, ne put décider dans le premier moment, tant il fut fasciné par cette éblouissante vision.Elle n’était pas grande, mais elle le semblait, tant sa fine taille s’élançait hardiment. Elle était brune, mais on devinait que le jour sa peau devait avoir ce beau reflet doré des Andalouses et des Romaines. Son petit pied aussi était andalou, car il était tout ensemble à l’étroit et à l’aise dans sa gracieuse chaussure. Elle dansait, elle tournait, elle tourbillonnait sur un vieux tapis de Perse, jeté négligemment sous ses pieds; et chaque fois qu’en tournoyant sa rayonnante figure passait devant vous, ses grands yeux noirs vous jetaient un éclair.Autour d’elle tous les regards étaient fixes, toutes les bouches ouvertes; et en effet, tandis qu’elle dansait ainsi, au bourdonnement du tambour de basque que ses deux bras ronds et purs élevaient au-dessus de sa tête, mince, frêle et vive comme une guêpe, avec son corsage d’or sans pli, sa robe bariolée qui se gonflait, avec ses épaules nues, ses jambes fines que sa jupe découvrait par moments, ses cheveux noirs, ses yeux de flamme, c’était une surnaturelle créature.«En vérité, pensa Gringoire, c’est une salamandre, c’est une nymphe, c’est une déesse, c’est une bacchante du mont Ménaléen!»En ce moment une des nattes de la chevelure de la «salamandre» se détacha, et une pièce de cuivre jaune qui y était attachée roula à terre.«Hé non! dit-il, c’est une bohémienne.»Toute illusion avait disparu.Elle se remit à danser. Elle prit à terre deux épées dont elle appuya la pointe sur son front et qu’elle fit tourner dans un sens tandis qu’elle tournait dans l’autre. C’était en effet tout bonnement une bohémienne. Mais quelque désenchanté que fût Gringoire, l’ensemble de ce tableau n’était pas sans prestige et sans magie; le feu de joie l’éclairait d’une lumière crue et rouge qui tremblait toute vive sur le cercle des visages de la foule, sur le front brun de la jeune fille, et au fond de la place jetait un blême reflet mêlé aux vacillations de leurs ombres, d’un côté sur la vieille façade noire et ridée de la Maison-aux-Piliers, de l’autre sur les bras de pierre du gibet.Parmi les mille visages que cette lueur teignait d’écarlate, il y en avait un qui semblait plus encore que tous les autres absorbé dans la contemplation de la danseuse. C’était une figure d’homme, austère, calme et sombre. Cet homme, dont le costume était caché par la foule qui l’entourait, ne paraissait pas avoir plus de trente-cinq ans; cependant il était chauve; à peine avait-il aux tempes quelques touffes de cheveux rares et déjà gris; son front large et haut commençait à se creuser de rides; mais dans ses yeux enfoncés éclatait une jeunesse extraordinaire, une vie ardente, une passion profonde. Il les tenait sans cesse attachés sur la bohémienne, et tandis que la folle jeune fille de seize ans dansait et voltigeait au plaisir de tous, sa rêverie, à lui, semblait devenir de plus en plus sombre. De temps en temps un sourire et un soupir se rencontraient sur ses lèvres, mais le sourire était plus douloureux que le soupir.[1]
Analyse
Comme nous l’avons déjà mentionné dans le résumé de Notre-Dame de Paris, le roman contient une multitude de thématiques dignes d’être analysées en détail. Il serait par exemple possible d’examiner comment Victor Hugo se distancie des règles de la doctrine classique pour la composition de la poésie et du théâtre. L’idée de la bienséance notamment, et donc la règle de ne montrer que ce qui est conforme aux bonnes manières dans un texte, ce qui exclut des crimes ou des horreurs entre autres,[2] se prête volontiers à l’analyse puisqu’il apparaît à plusieurs reprises que cette règle n’a plus aucune importance pour Hugo. L’intérêt principal de cette analyse sera pourtant tout autre, puisque nous nous pencherons sur la figure d’Esmeralda en tant que représentante de l’altérité. Évidemment, il serait nécessaire d’analyser un grand nombre de scènes afin de développer une compréhension profonde du traitement d’Esmeralda. En raison de la longueur limitée de cette analyse, nous nous concentrerons pourtant sur une scène, celle où Esmeralda apparaît pour la première fois. Cette scène se trouve dans le chapitre intitulé « Besos para golpes », dans le deuxième livre du roman, et décrit comment Pierre Gringoire, un des personnages principaux, regarde Esmeralda danser et comment elle apparait à ses yeux.[3]https://t1p.de/eh5g (23.05.2020)
Dans cette scène, les pensées, observations et sentiments de Gringoire sont ouvertement décrits au lecteur[4] ce qui démontre que c’est une focalisation interne qui est utilisée. [5] Cela veut dire aussi que c’est Gringoire et non le narrateur qui emploie les éléments de caractérisation que nous allons analyser et qualifier.[6] De plus, Gringoire étant un personnage masculin,[7] il est possible de constater que, dans cette scène, Esmeralda est l’objet du male gaze ou regard masculin.[8] Sous cette prémisse, les descriptions d’Esmeralda dans ce passage nous conduisent à plusieurs conclusions. D’abord, Esmeralda en tant que bohémienne et donc en tant que symbole de l’altérité est fortement sexualisée et objectivée. Par exemple, nous pouvons noter que, surtout si nous considérons le contexte historique, les descriptions de « ses épaules nues, ses jambes fines que sa jupe découvrait par moments, ses cheveux noirs [et] ses yeux de flamme » (Hugo, Notre-Dame, p. 134) et de sa danse libre et sans réticence[9] sont à comprendre comme profondément érotisées.[10] En outre, dans cette scène, ne sont décrits que son corps et ses mouvements,[11] de sorte qu’elle est assimilée à eux, car ce sont les seuls attributs qui semblent la caractériser aux yeux du spectateur mâle.[12] Ce fait la prive de son statut de sujet : sous le regard masculin, elle devient un objet désirable. [13] Cependant, cette circonstance est rendue encore plus complexe par le fait qu’Esmeralda n’est pas seulement une femme qui devient l’objet du désir et du regard masculin et donc un objet sexuel. Dans la première section de la scène, il devient évident que Gringoire ne sait tout d’abord pas comment classer Esmeralda.[14] Ainsi, il pense que « c’est une salamandre, c’est une nymphe, c’est une déesse, c’est une bacchante du Mont-Ménaléen » et elle est décrite comme « une fée, ou un ange » et une « créature surnaturelle » (Hugo, Notre-Dame, p. 134). Toutes ces descriptions relient Esmeralda à des créatures mythiques ou divines qui ne peuvent pas être identifiées facilement, ne font pas partie de la société, mais qui sont néanmoins vénérées.[15] De ce fait, c’est donc surtout le fait qu’elle ne corresponde en aucune façon aux normes sociales applicables qui la rend tellement attirante.[16] En conséquence, tandis qu’Esmeralda est certes déjà clairement représentée à ce stade comme érotique dans la description, elle est plus que cela puisqu’elle est en dehors des attentes sociales et que Gringoire n’arrive pas à la classer. En revanche, dès qu’il se rend compte qu’elle n’est en fait « qu’une gitane », cela la marque automatiquement comme n’appartenant pas à la société et cela donne une explication à son comportement, « [t]oute illusion avait disparu » [17] Elle est donc doublement inférieure aux personnages masculins et au male gaze dans le roman, puisqu’elle n’est pas seulement féminine, mais aussi gitane, ce qui fait finalement d’elle un objet subordonné, sexualisé [18] convoité par les personnages masculins. Pour eux, elle est un objet exotique et désirable qu’ils veulent et surtout peuvent posséder,[19] ce qui est évident à plusieurs reprises dans le roman quand on considère les comportements de Phoebus et Claude Frollo.[20] En conclusion, nous pouvons constater qu’à travers les moyens utilisés comme la focalisation interne de Gringoire et donc l’introduction du male gaze ainsi que les descriptions d’Esmeralda analysées ici, le narrateur du roman fait comprendre au lecteur qu’Esmeralda en tant que bohémienne et représentante de l’altérité est réduite à un objet exotique, sexuel et désirable pour les personnages mâles du roman. Plusieurs autres scènes permettent de tirer les mêmes conclusions. Afin de comprendre l’attitude du narrateur ou même de l’auteur Victor Hugo, envers Esmeralda et, par conséquent, l’altérité, il serait pourtant nécessaire d’analyser d’autres scènes et surtout celles qui n’utilisent pas de focalisation interne fixée sur un personnage mâle.
Références bibliographiques
- Hugo, Victor (1981): Notre-Dame de Paris. Introduction, Notes et Chronologie par Jacques Seebacher. Paris : Hachette, pp. 134-135.
- Literaturwissenschaft Online : « Bienséance. » https://www.literaturwissenschaft-online.uni-kiel.de/glossary/bienseance/ (13.06.2020).
- Hugo, Victor (1981): Notre-Dame de Paris. Introduction, Notes et Chronologie par Jacques Seebacher. Paris : Hachette, pp. 134-135.
- Hugo (1981), pp. 134-135.
- Lahn, Silke et Meister, Jan C. : Einführung in die Erzähltextanalyse. 3e édition. Stuttgart : Metzler Verlag, 2016, p. 119.
- Bogdal, Klaus-Michael : Europa erfindet die Zigeuner. Eine Geschichte von Faszination und Verachtung. Bonn : Suhrkamp Verlag, 2011, pp. 195-196.
- Bogdal (2011), pp. 195-196.
- Radulescu, Domnica : « Performing the Female „Gypsy“. Commedia Dell’Arte’s „Tricks“ for Finding Freedom. » Dans : „Gypsies“ in European Literature and Culture, Valentina Glajar & Domnica Radulescu (Ed.). New York : Palgrave Macmillan, 2008, p. 210.
- Radulescu (2008), pp. 134-135.
- Bogdal (2011), p. 29.
- Hugo (1981), pp. 134-135.
- Udasmoro, Wening : « Gypsies in 19th-Century French Literature: The Paradox in Centering the Periphery. » Kta: A Biannual Publication on the Study of Language and Literature 17/1, 2015, p. 29.
- Radulescu (2008), p. 210.
- Radulescu (2008), p. 210.
- Seebacher (Notes), dans : Hugo, Notre-Dame, p. 134.
- Bogdal (2011), pp. 99-200.
- Hugo (1981), p. 135). Son statut de gitane la repositionne immédiatement comme un objet, puisque son altérité n’est plus aussi fascinante, mais plutôt attendue.<ref>Udasmoro (2015), p. 30.
- Udasmoro (2015), p. 29-30.
- Radulescu (2008), p. 210.
- Hugo (1981), p.e. pp. 428-437.