5) Analyse: L’École des Femmes
Extrait d'analyse: scène 2, acte III
ARNOLPHE, assis:
Agnès, pour m'écouter, laissez là votre ouvrage.
Levez un peu la tête et tournez le visage :
Là, regardez-moi là durant cet entretien,
Et jusqu'au moindre mot imprimez-le-vous bien.
Je vous épouse, Agnès ; et cent fois la journée
Vous devez bénir l'heur de votre destinée,
Contempler la bassesse où vous avez été,
Et dans le même temps admirer ma bonté,
Qui de ce vil état de pauvre villageoise
Vous fait monter au rang d'honorable bourgeoise
Et jouir de la couche et des embrassements
D'un homme qui fuyoit tous ces engagements,
Et dont à vingt partis, fort capables de plaire,
Le coeur a refusé l'honneur qu'il vous veut faire.
Vous devez toujours, dis-je, avoir devant les yeux.
Le peu que vous étiez sans ce noeud glorieux,
Afin que cet objet d'autant mieux vous instruise
A mériter l'état où je vous aurai mise,
A toujours vous connoître, et faire qu'à jamais
Je puisse me louer de l'acte que je fais.
Le mariage, Agnès, n'est pas un badinage :
A d'austères devoirs le rang de femme engage,
Et vous n'y montez pas, à ce que je prétends,
Pour être libertine et prendre du bon temps.
Votre sexe n'est là que pour la dépendance :
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Bien qu'on soit deux moitiés de la société,
Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité :
L'une est moitié suprême et l'autre subalterne ;
L'une en tout est soumise à l'autre qui gouverne ;
Et ce que le soldat, dans sons devoir instruit,
Montre d'obéissance au chef qui le conduit,
Le valet à son maître, un enfant à son père,
A son supérieur le moindre petit Frère,
N'approche point encor de la docilité,
Et de l'obéissance, et de l'humilité,
Et du profond respect où la femme doit être
Pour son mari, son chef, son seigneur et son maître.
Lorsqu'il jette sur elle un regard sérieux,
Son devoir aussitôt est de baisser les yeux,
Et de n'oser jamais le regarder en face
Que quand d'un doux regard il lui veut faire grâce.
C'est ce qu'entendent mal les femmes d'aujourd'hui ;
Mais ne vous gâtez pas sur l'exemple d'autrui.
Gardez-vous d'imiter ces coquettes vilaines
Dont par toute la ville on chante les fredaines,
Et de vous laisser prendre aux assauts du malin,
C'est-à-dire d'ouïr aucun jeune blondin.
Songez qu'en vous faisant moitié de ma personne,
C'est mon honneur, Agnès, que je vous abandonne ;
Que cet honneur est tendre et se blesse de peu ;
Que sur un tel sujet il ne faut point de jeu ;
Et qu'il est aux enfers des chaudières bouillantes
Où l'on plonge à jamais les femmes mal vivantes.
Ce que je vous dis là ne sont pas des chansons ;
Et vous devez du coeur dévorer ces leçons.[1]
Analyse
Représentée pour la première fois en 1662, la pièce de théâtre L’Écolde des femmes de Molière a autant connu le succès qu’elle a suscité de polémiques. En effet, quelques scènes ont été rapidement considérées comme choquantes et immorales. Louis XIV exerçait la monarchie absolue à cette époque : les droits des femmes étaient alors très restreints et elles étaient avant tout circonscrites à leur rôle d’épouse. Nous allons nous intéresser particulièrement à la scène 2 de l’acte III. Par le biais d’Horace, Arnolphe vient d’apprendre que celui-ci a réussi à séduire Agnès. Il lui annonce donc au début de l’Acte III, qu’il est lui-même son futur époux. Suite à son échec, Arnolphe reste dans le déni et continue à s’obstiner en imposant de plus en plus de limites à Agnès, il décide même à cette dernière d’interdire de revoir Horace. Nous allons démontrer en quoi cette scène reflète la réalité sociale du mariage à laquelle les femmes étaient confrontées à l’époque de Molière.
Tout d’abord, la scène 2 de l’acte III de L’École des femmes dépeint Arnolphe comme un tyran obsédé par Agnès, essayant par tous les moyens d’empêcher que cette dernière ne lui échappe. En effet, dans les deux premiers actes, Arnolphe s’était déjà montré amoral en désirant mettre Agnès, une jeune fille, dans son lit. Prêt à toutes les ruses pour écarter son concurrent, il vit avec la crainte du cocuage. Dans cette scène, Arnolphe affiche la supériorité qu’il ressent envers Agnès, tel qu’en atteste le ton solennel qu’il emprunte au début de son monologue, comme lorsqu’il lui dit « bénir l’heure de votre destinée », se dépeignant donc comme un dieu qui se résignerait à épouser une simple mortelle. Il tente dès lors de la persuader qu’elle est chanceuse qu’il daigne s’attacher à elle. Arnolphe rabaisse complètement Agnès avec un discours péjoratif « le peu que vous étiez », « pauvre villageoise ». Cette scène dévoile également son égoïsme, il ne pense qu’à épouser Agnès dans le seul but qu’elle l’« admire », qu’elle réalise « l’honneur qu’il veut lui faire », en lui montrant donc à quel point il lui fait une faveur. Il ne pense en effet, pas un seul instant aux sentiments de la jeune fille. A travers cette vision du mariage, Arnolphe ne laisse aucune place à l’amour sincère, contrairement au personnage d’Agnès, pure et innocente.
Dans le même temps, Arnolphe s’attelle à une violente critique des femmes. Selon lui, il n’existe aucune confiance entre le mari et la femme, car la femme est, par nature, un être qui ne pense qu’à « être immature et prendre un agréable temps ». Le terme « mariage » est associé à « d’austères devoirs ». En effet, le mariage est selon Arnolphe, une union destinée à éviter l’humiliation du cocufiage et à satisfaire les exigences de son amour-propre. Cet engagement n’est donc qu’un ensemble d’obligations pour la femme, son discours visant à rabaisser la femme à l’état d’esclave. Encore une fois, ses dires sont absurdes : en quoi la « barbe » serait-elle une indication de domination ? Il tente également d’appuyer son raisonnement avec une approche plus scientifique : « Ces deux moitiés malgré tout n’ont point d’égalité ». Arnolphe explique donc que le mari est tout-puissant pour la femme : il est « son époux, son patron, son châtelain et son maître ». Ensuite, la lecture les maximes qu’il fait lire à Agnès sont non seulement représentatives de sa vision des choses, mais également de la réalité de sociale du XVIIème siècle. C’est notamment une des raisons pour laquelle L’École des femmes a fait polémique à cette époque ce moment-là : certains y voyaient une critique de la société et une atteinte à la morale. La lecture des onze maximes a ainsi soulevé de nombreuses critiques dans une société très religieuse : elle avait été en effet considérée comme une parodie des Dix Commandements, paroles que Dieu aurait transmises à Moïse d’après l’Ancien Testament. Par ailleurs, Molière s’est pour sa part toujours défendu en expliquant qu’il voulait avant tout divertir son public.
Cette scène reflète parfaitement la mentalité du XVIIème siècle : la femme mariée est complètement soumise à son époux, elle en est dépendante en tout point. Molière se fait donc, dans une certaine mesure, défenseur des droits des femmes, et de l’égalité des sexes en attaquant cette réalité sociale. Cette scène, tout comme l’œuvre dans son intégralité, ont donc suscité de nombreux débats, et polémiques. C’était donc un auteur très moderne, car malheureusement, ce combat est toujours d’actualité au XXIème siècle, bien que nous notions tout de même de nombreux progrès.
Références bibliographiques:
- Molière, L’École des femmes – Acte III, scène 2, vers 675-730.