Le petit Bach

Sur l’immense gouffre

Me bercent. D’autres fois, calme plat, grand miroir

De mon désespoir ! *

Silence de mort – la cave voûtée m’entoure. Je peux entendre mes propres pas, des éclairages au plafond illuminent l’espace à la manière de bougies longues et brillantes. J’ai froid. Au-dessous de moi reposent 286 tombeaux, je frissonne. Mon regard se perd dans le vide, se dirige par terre vers les chambres funéraires bouchées par des simples plaques de grès. Les épitaphes furent conçues selon un motif de base quasiment uniforme – l’égalité des croyants face à la mort – l’égalité de tous. Je marche au-dessus d’eux jusqu’à ce que mon œil s’arrête sur une plaque avec l’inscription « Carl Philipp Emmanuel Bach repose avec sa femme et ses enfants ». La musique était la vie du musicien, compositeur, fils de Johann Sebastian Bach, qu’on appelle dans sa ville de Hambourg « Le petit Bach ». Un chœur de trombones résonne tout à coup et recouvre le silence du désespoir. Qu’il puisse lui aussi entendre la musique et suivre ces vers de Baudelaire :

La musique parfois me prend comme une mer !

Vers ma pâle étoile,

Sous un plafond de brume

ou dans un pur éther

Je mets à la voile ! *

Ressuscité – dans notre mémoire comme dans notre salle de musique !

*Charles Baudelaire, La Musique, extrait de Les Fleurs du mal.

Cet article a été rédigé par Tatjana Hoffeins, étudiante en Etudes francophones à l’Université de Hambourg.

Ce qui survit

On trébuche parfois… Il y a le bord du trottoir, une branche, une feuille ou un visage bouleversant qui nous retiennent. Une fois j’ai hésité et regardé le sol qui m’avait fait perdre mon équilibre. C’est là que j’ai découvert des pierres de couleur d’or et de forme quadrangulaire. Il y en a neuf, la symétrie est parfaite. Mon regard s’arrête sur le nom de Camilla Fuchs. On peut lire « Soprano/ Camilla Fuchs/ née en 1886/ privée de ses droits et humiliée/ a fui dans la mort/ 24.10.1941 » La mort l’a sauvée. Pour elle, c’était la seule possibilité d’échapper à son destin cruel et dégradant.

Pourtant autrefois, tout le monde l’écoutait. Elle se sentait merveilleuse avec sa robe en soie rouge qui se froissait à chaque pas. La musique remplissait son corps qui devenait tout électrique. Son cœur s’élargissait et sa tête devenait une salle sonore. Parfois, elle était toute seule à l’opéra. Dans ces moments elle était debout sur la scène et respirait à plein poumon l’air du succès. Parfois elle laissait traîner son regard. Ce luxe ostentatoire la fascinait, les loges et balcons pleins d’ornements, les chaises en velours rouge et le lustre qui brillait comme un diamant. Elle imaginait ses spectateurs. Parmi eux, une femme âgée d’une élégance intemporelle qui tient ses jumelles de théâtre, les mains tremblantes d’émotion à son chant. Un homme en costume qui fredonne même si sa voisine le regarde avec perplexité. Des amants s’observent avec discrétion des balcons qui se font face.

Mais maintenant, Camilla se sent comme la spectatrice de sa vie. Elle n’est plus une femme de spectacle, elle est une femme avec les mains tremblantes qui ne veut pas croire à ce qui se passe sur la scène du temps. Les verres de ses jumelles d’opéra prévoient un avenir qui va tout emporter : sa dignité, son humanité et finalement sa vie. Elle ne veut pas en être le témoin, ce n’est pas le rôle qu’elle veut jouer. Alors, pour cette raison elle a décidé de devenir son propre metteur en scène. Elle a écrit le scénario de sa vie.

Alors, elle écrit une pièce avec deux rôles. Un rôle appartient à sa sœur, Thekla Daltrop. Leurs ordres d’évacuation sont arrivés en même temps. Elle était no. 416 et sa sœur no. 1205. Dans sa pièce, elles ne portent de numéros. Elles portent leurs noms qu’on leur a donnés à leurs naissances. Ce soir-là, Camilla est assise dans son fauteuil de rotin écoutant les opéras de Verdi et un poème de Baudelaire s’épanouit dans sa tête.

« Sur l’immense gouffre. Me bercent. D’autres fois, calme plat, grand miroir. De mon désespoir ! » *

La musique la berce et reflète toutes ses émotions. Le sombre gouffre, son avenir, est éclairé par la musique qui vibre en elle. Elle vibre en elle quand le gaz de sa cuisinière l’étouffe et un sourire se distingue autours de ses lèvres, puisque les nazis n’ont pas pu lui prendre sa musique intrinsèque.

Aujourd’hui Camilla ne reconnaitrait pas l’opéra. Les loges sont sobres, il n’y a plus d’ornements. En fait, la salle est saturée de cette nouvelle sobriété. Les bombardements de 1943 ont fait voler en éclats la surabondance de décoration et on ne l’a pas reconstruite. Au début, face à ce changement qui rompait avec la tradition pour se tourner vers la modernité, les gens étaient indignés. Cependant, en son cœur, le Staatsoper n’a pas changé. C’est toujours un lieu de musique, de vie, d’humanité, un lieu où résonne la voix de Camilla Fuchs.

*Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal (1857), LXXVI : La musique

Cet article a été rédigé par Alexa Treusch, étudiante en Etudes Francophones à l’Université de Hambourg.

Exercice : Les connecteurs logiques – indicatif ou subjonctif ?

Exercice : Les connecteurs logiques – indicatif ou subjonctif ?

Nous vous avons parlé des connecteurs logiques, les meilleurs amis d’un bon texte académique (voir la leçon dans la rubrique « Savoir »).

Beaucoup d’expressions parmi les connecteurs exigent le subjonctif, mais quelques-unes sont suivies de l’indicatif. Ici, vous pouvez aussi bien tester vos connaissances du subjonctif que réviser quelques connecteurs logiques. Bon travail !

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« Vernon Subutex » Trilogie de Virginie Despentes

« Vernon Subutex » Trilogie de Virginie Despentes

Virginie Despentes, née le 13.06.1969, est une des auteures actuelles les plus connues en France. Sa carrière a commencé déjà en 1994, mais son grand succès est particulièrement dû à sa nouvelle trilogie Vernon Subutex, dont le premier tome est paru en 2015. Qui est donc cette auteure et pourquoi ces œuvres sont-elles si intéressantes ?

Virginie Despentes entre dans l’histoire littéraire en 1994 avec son premier roman intitulé vulgairement Baise-moi, paru initialement chez Florent Massot. Le roman illustre l’histoire brutale des deux Parisiennes désinhibées qui se retrouvent après quelques années difficiles et partent ensemble dans un tour de la France pour se venger des hommes qui leur avaient fait mal dans le passé. Comme l’on peut prévoir, la fin n’est pas heureuse.

Vengeance, violence, sexualité explicite, rébellion, punk – tous ces termes décrivent le style de Virginie Despentes dans les années ’90. Elle écrit surtout des romans fictifs, mais beaucoup d’éléments narratifs sont inspirés par des séquences de sa propre vie difficile. En dépit de son début littéraire turbulent, elle garde un style d’écriture très dure, mais qui change sans cesse, en écho aux conditions sociales actuelles des femmes. Ses romans Les Chiennes Savantes (1996), Les Jolies Choses (1998), Teen Spirit (2002), Trois étoiles (2002 avec Nora Hamdi), Bye Bye Blondie (2004), Apocalypse Bébé (2010) et finalement la trilogie Vernon Subutex (2015; 2017) sont souvent vus comme dérangeants par un grand nombre de critiques littéraires, mais peu à peu, le groupe de ses lectrices et lecteurs s’agrandit et le monde littéraire de renom commence à reconnaître son travail. Les œuvres Les Jolies Choses, Apocalypse Bébé et Vernon Subutex reçoivent ainsi plusieurs prix. La question de savoir si cette notoriété qui augmente est due à un changement de style ou à l’acceptance plus grande du public envers un monde fictif dur et violent reste une discussion très intéressante.

Dans ses livres, on retrouve des évènements inspirés de la vie réelle de l’auteure. Un des évènements marquants de sa jeunesse est le viol qu’elle a subi à l’âge de 17 ans. À part ces romans fictifs et ses nouvelles, elle a écrit deux essais dont un, King Kong Théorie (2006), révèle le rapport entre sa vie tumultueuse et sa théorie féministe. Elle est vue comme féministe radicale, mais elle-même ne s’est pas classée dans aucun courant spécifique. Ce qui peut être défini avec certitude est son appartenance à la troisième vague féministe, entre autres grâce à sa position pro-prostitution (cf. Despentes, King Kong Théorie, p. 83). Elle explique dans cet essai entre autres son hypothèse, reprise d’autres théories féministes égalitaires comme celle de Christine Delphy, qu’il n’y a pas de véritables différences entre les deux sexes biologiques, les « différences » ne demeurant alors que des prescriptions sociales.

Dans la plupart de ses oeuvres, l’auteure écrit ses romans d’un point de vue féminin, ce qui souligne la particularité de la trilogie Vernon Subutex : le personnage principal est un homme. Vernon Subutex, un disquaire parisien couronné de succès dans les années 1980, mais ayant fait en faillite et étant resté seul au moment de l’histoire, vit des aventures décrites de façon typique pour l’auteure. Les évènements sont pleins de suspense, les descriptions du monde où il vit cruelles, et les personnages une critique radicale de la société contemporaine. Par conséquent, cette nouvelle trilogie marque le début d’une nouvelle ère, mais exprime aussi les convictions que le public connaît déjà chez Virginie Despentes.