„Alphabet des Ankommens“ – Logo
Image d’Arne Bellstorf
Nous avons tous été touchés de près ou de loin par la vague d’arrivées de réfugiés à Hambourg en 2015-2016. Mais que savons-nous vraiment d’eux ? Quels défis ont-ils eu à relever lors de leur arrivée dans un pays inconnu ? Quelles ont été leurs perceptions de la culture allemande ?
Le projet « Alphabet de l’arrivée », un workshop d’une semaine à la H.A.W, qui a réuni des dessinateurs et des journalistes issus de dix pays différents, retrace l’histoire de destins individuels qui sont venus s’installer à Hambourg. Douze BD de reportage, écrites dans plusieurs langues dont le français, sont le fruit de cette rencontre.
J’étais attirée par l’originalité du projet, et le choix d’un genre peu connu a particulièrement attiré mon attention. La BD de reportage, à quoi peut-elle ressembler ? Mes premières lectures m’ont fait penser à une bande dessinée au contenu journalistique, un peu comme le roman graphique. Ce genre a l’avantage de mettre le reportage en images, de saisir les personnages dans leurs interactions avec les autres via une mise en scène des personnages presque théâtrale, ce qui met leur caractère subjectif en avant. Je trouve très originale cette manière d’aborder le sujet de l’immigration, une manière qui nous laisse entrer dans les pensées des nouveaux arrivés. De plus, le style très réaliste de dessins et de l’écriture nous donne une impression d’authenticité agréable.
Le projet cherche à communiquer le processus d’arrivée des réfugiés dans un pays inconnu, à montrer leur quotidien, les difficultés personnelles concrètes qu’implique une vie dans une société nouvelle. Même si chaque BD de reportage relate une histoire unique et même si chaque tandem dessinateur/journaliste traite du sujet à sa manière, ces douze BD de reportage traitent de thèmes récurrents. Les principaux problèmes évoqués par les nouveaux arrivants sont avant tout des problèmes d’ordre matériel : une bureaucratie lourde, des difficultés à trouver un logement et un travail, à faire une demande d’asile. Nombreux sont les auteurs qui évoquent l’Allemagne comme le pays de l’ordre et de la paperasse, où des classeurs sont offerts lors du premier rendez-vous au jobcenter pour être sûr que les papiers soient bien ordonnés. Cela provoque un sentiment d’incompréhension et de frustration pour les nouveaux arrivés qui doivent s’armer de patience. Dans ce contexte difficile, la musique et la danse jouent pour beaucoup un rôle important, car ils leur donnent un sentiment de sécurité sociale et émotionnelle ainsi qu’un moyen d’évasion.
Les nouveaux arrivés évoquent aussi les différences culturelles qu’ils vivent. Un homme venant d’Erythrée essaie de comprendre les Allemands en observant leur comportement social pendant les deux heures qu’il passe quotidiennement dans le métro pour aller de son logement à son école de langues. La proximité autorisée dans une relation entre deux personnes est un élément interculturel essentiel à connaître lorsqu’on rencontre des personnes issues de cultures différentes de la nôtre. Notre homme originaire de l’Erythrée cherche à nouer contact dans le métro, mais est confronté à une certaine froideur des passagers. Il ne comprend pas pourquoi tous les passagers semblent ignorer la présence des autres, pourquoi certains préfèrent rester debout plutôt que de s’asseoir à côté de lui. Il se dit alors que les Allemands doivent être des personnes qui font preuve de beaucoup de distance. Mais un matin, il voit à côté de lui, dans une rame de métro, un homme et une femme s’embrasser longuement. Il est comme hypnotisé par ce qu’il voit, pour lui c’est une scène de cinéma. Ce qu’il observe est pour lui un paradoxe. Les habitants de Hambourg qui d’un côté font preuve d’une très grande distance et ne s’adressent pas la parole dans le métro sont les mêmes personnes qui s’autorisent à s’embrasser en public.
Les journalistes, qui ont habituellement une position extérieure, sont représentés dans certaines des BD de reportage. C’est le cas de « c’est arrivé à Lichtenstein » qui présente un quartier de Berlin où vivent à la fois des réfugiés politiques et des habitants qui votent AFD. L’auteure Nathalie Frank est représentée dans la bande dessinée. Une partie de son vécu et son point de vue font partie intégrante de l’histoire. Les langues choisies sont les langues qui ont été utilisées dans la réalité. Le professeur de musique et la journaliste française se parlent en français dans les bulles lorsqu’ils sont entre eux et parlent allemand lorsqu’ils s’adressent aux enfants réfugiés ou plus tard aux hommes du bar où ils prennent une bière.
Je vous conseille vivement la lecture de ces BD de reportage, BD dont les dessins poignants parviennent, en dépassant les limites du langage, à nous faire part des sentiments éprouvés par les nouveaux arrivants lors de leurs premiers mois passés à Hambourg.
Cet article a été rédigé par Elodie C. , étudiante en Master de français et de philosophie à l’Université de Hambourg .
Un travail réalisé dans le cadre du projet « Französisch auf der Spur: Digitale Schnappschüsse an der Universität und in der Stadt », avec le soutien du Jubiläumsfonds de l’Université de Hambourg, qui fête ses 100 ans en 2019.